Mode de scrutin: quand M. Trudeau nous prend pour des valises

Photo tirée de la page Facebook de Justin Trudeau

Le premier ministre est d’accord pour qu’on change le mode de scrutin, en autant qu’on mette en place celui qui va l’assurer de gagner.

Le premier ministre sortant avait promis en 2015 que les élections tenues cette année-là seraient les dernières sous le mode actuel, qui date de plus de 150 ans.

Il a promis de déposer un projet de loi à cet effet dans les 18 premiers mois d’un gouvernement libéral, donc avant l’été… 2017.

M. Trudeau a eu la chance de le faire pour 2019. Il a eu la chance de le faire pour 2021. Et il a décidé de ne pas le faire.

Notre système moyenâgeux

Au Canada, le député élu dans chaque circonscription est celui qui a reçu le plus de votes.

S’il n’y a que deux partis, comme lorsque notre système a été imaginé en Angleterre au Moyen-Âge, un des deux candidats va assurément avoir plus de 50% des votes.

S’il y a quatre ou cinq candidats sérieux, il est possible de gagner avec beaucoup moins. Souvent 40%. Parfois avec à peine plus de 30%

Si des dizaines de candidats d’un même parti remportent leur circonscription avec 40%, 35%, 30%, il y a de fortes chances qu’un gouvernement majoritaire soit élu sans remporter plus de 50% des votes.

Donc majoritaire en députés, mais avec une minorité de votes. C’est ce qui est arrivé la plupart du temps au Canada.

Comme il n’y a aucun élément de proportionnalité dans notre système, le parti qui remporte le plus de sièges n’est pas nécessairement celui qui a reçu le plus de votes.

Donc, le parti avec le plus de votes se retrouve dans l’opposition, et le deuxième parti avec le plus de votes forme le gouvernement. C’est ce qui est arrivé en 2019.

Ça devrait déranger tous ceux qui recherchent un peu d’équité dans le système électoral, au-delà de la partisanerie et des préférences politiques.

Le Canada n’appartient pas à un seul parti, quel qu’il soit.

Le système le plus juste

Samedi, M. Trudeau se disait « ouvert » à une réforme, à certaines conditions, en autant qu’il y ait un « consensus » qu’il n’a pas rencontré jusqu’à maintenant.

Il n’y a pas de consensus parce, contrairement au Parti libéral, la plupart des partis fédéraux veulent un mode de scrutin qui inclut une forme de proportionnalité, afin que le nombre de sièges reflète le nombre obtenus.

Ça tombe sous le sens, parce que c’est plus juste. C’est aussi comme ça que fonctionnent la plupart des pays développés, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France étant des exceptions. Le Canada aussi.

(Et, contrairement à ce qu’on croit parfois, un système proportionnel n’est pas moins stable – Angela Merkel est chancelière depuis 16 ans -, en plus de mener à de meilleures politiques publiques.)

La préférence de M. Trudeau

M. Trudeau ne veut pas de scrutin proportionnel. Il préfère un scrutin « préférentiel ».

Dans un scrutin préférentiel, l’électeur inscrit un premier choix, le parti qu’il souhaite voir élu. Puis au second choix, puis un troisième, jusqu’au nombre de candidats dans sa circonscription.

Le candidat qui a le moins de vote est éliminé. Les votes qu’il a reçus sont ensuite reportés selon les deuxièmes choix effectués, et ainsi de suite.

En théorie, ça peut sembler intéressant. En pratique, ça donne un cascade de votes impossible à prévoir. Et l’électeur ne sait jamais vraiment pour qui il vote en fin de compte.

C’est aussi le mode de scrutin qui favorise le plus… le Parti libéral.

Quel sera généralement le second choix des électeurs du NPD? Le Parti libéral.

Quel sera généralement le second choix des électeurs du Parti conservateur? Le Parti libéral.

Avec un mode de scrutin préférentiel, les libéraux se voient au pouvoir pour le futur envisageable.

Quand M. Trudeau nous dit qu’il attend un « consensus » pour réformer notre système électoral, il nous prend pour des valises.

Il attend seulement de pouvoir mettre en place le système qu’il croit bon pour lui.

-30-

* J’avais d’abord indiqué qu’aucun pays n’était revenu en arrière après avoir introduit un élément de proportionnalité. En fait, c’est arrivé en Europe entre l’entre-deux guerres et au sortir de la Seconde Guerre mondiale. La proportionnelle avait alors été associée à la montée des extrémismes dans les années 20.

La France a aussi renu un scrutin proportionnel en 1986 avant de faire demi-tour, au terme d’une guérilla politique.

Au cours des cinquante dernières années, la tendance vers des systèmes proportionnels est universelle, incluant en Europe, où presque tous les pays ont un scrutin au moins partiellement proportionnel.

Même l’Angleterre, qui a un système uninominal à un tour comme le nôtre, élisait ses députés au Parlement européen par un mode de scrutin proportionnel.



Catégories :Démocratie

2 réponses

Rétroliens

  1. Pour une coalition… libéraux-conservateurs ! – Le blogue de Patrick Déry
  2. Trudeau a gagné, point barre – Le blogue de Patrick Déry

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