Un échec de gestion qui se prépare depuis des mois

C’est un échec de gestion, pur et simple.

Le gouvernement a reculé. Les travailleurs de la santé non-vaccinés, à l’encontre de la science, de leurs devoirs déontologiques et du bon sens, vont pouvoir continuer à s’approcher de patients vulnérables au-delà du 15 octobre.

Je sympathise avec le ministre de la Santé, Christian Dubé, qui a dû se piler sur le coeur publiquement pour nous l’annoncer, et qui a répété ses lignes comme un robot un peu défait. Mais ça reste un échec de gestion, et ça fait des mois qu’on le prépare.

Le gouvernement a mis des mois à rendre la vaccination ou le dépistage des travailleurs de la santé obligatoire dans certaines unités… mais pas toutes.

De sorte qu’en juin, encore, cinq patients recevant un traitement pour le cancer sont morts après avoir été infectés par un soignant non vacciné. Au lieu des les aider à guérir, le soignant les a tués.

Le gouvernement a bouché partiellement le trou le lendemain, en obligeant le dépistage des soignants non vaccinés qui travaillent en hémato-oncologie. Il a fallu cinq morts dans la même unité pour qu’on réagisse.

Le 17 août, deux mois plus tard, le gouvernement annonçait que la vaccination serait obligatoire pour tout le personnel de la santé, vu que le dépistage a ses limites. Tout le personnel? Pas vraiment. Ceux qui sont auprès des patients… pour au moins 15 minutes. Sortez le chronomètre…

Comme on est en pandémie et qu’il ne faut surtout pas trop se presser, le gouvernement a convoqué une commission parlementaire pour en discuter.

Le 7 septembre, trois semaines plus tard, une date butoir a été fixée au 15 octobre. Les soignants qui ne seront pas vaccinés à cette date seront suspendus.

Le 16 septembre, le directeur national de santé publique, Horacio Arruda, a ouvert la porte à un recul : « On verra si l’impact est plus négatif que positif. Je ne veux absolument pas dire qu’on ne revoit pas les choses », avait-il dit sur la vaccination obligatoire des soignants. On a déjà vu plus convaincu…

Le 7 octobre, le premier ministre François Legault réitérait qu’il ne reculerait pas sur la vaccination obligatoire, semonçant même Joël Arsenault, chef parlementaire du Parti québécois, pour avoir fait une telle suggestion :

« Je pense qu’il envoie un très mauvais message avec sa question ce matin, en laissant entendre que ce serait une erreur de mettre la vaccination obligatoire dans le réseau de la santé le 15 octobre. »

-François Legault, 7 octobre

Le 8 octobre, le ministre de la Santé, Christian Dubé, mettait de la pression sur les ordres professionnels des travailleurs de la santé pour qu’ils suspendent leurs membres non vaccinés. Le Collège des médecins, l’Ordre des infirmières, l’Ordre des inhalothérapeutes et l’Ordre des infirmières auxiliaires ont obtempéré.

Le 9 octobre, le ministre Dubé réitérait son ultimatum : « On ne peut accepter que des travailleurs mettent des personnes vulnérables à risque. »

Le 12 octobre, trois jours avant la limite, le ministre Dubé répond à une question d’un journaliste sur sa volonté de maintenir le cap : « La réponse va être très courte. On bouge pas sur la date. »

Le 13 octobre, le gouvernement effectue un demi-tour spectaculaire et repousse d’un mois, au 15 novembre, l’entrée en vigueur de la vaccination obligatoire des travailleurs de la santé : « Si ça continue comme ça, on va foncer dans un mur. »

Je suis tenté de dire que le mur est là depuis des mois, même des années, et qu’on l’a construit, une brique à la fois.

Bien sûr, il y a les conditions de travail pourries et les relations tout aussi pourries entre le gouvernement et le personnel de la santé. Ça date de bien avant l’entrée en poste du gouvernement actuel.

Mais il y a aussi du mou dans le décisionnel, chez nos décideurs publics actuels. Depuis le début de cette crise, on a agi en retard et en réaction. Sur le masque, rendu obligatoire des mois après qu’on en avait vu l’utilité ailleurs, et qu’on connaissait bien avant que la covid arrive.

Sur le dépistage obligatoire des travailleurs de la santé, qui n’est arrivé qu’en avril 2021, après des milliers de morts.

Sur la vaccination réellement obligatoire des soignants aussi, qu’on a fini par imposer à reculons, après avoir étiré les limites du système de santé, de ceux qui le portent à bout de bras, et laissé des patients mourir, infectés par ceux qui devaient les soigner.

Et, là, on vient d’envoyer un puissant signal aux mal informés et aux boqués du système de santé, ceux qui « font leur recherches » sur Facebook et qui accordent plus de crédibilité à une vidéo YouTube qu’à une armée de doctorants en virologie ou en immunologie, ceux pour qui le devoir déontologique s’applique seulement si ça ne contrevient pas aux croyances farfelues.

Pensez-vous que ceux qui refusent de se faire vacciner maintenant vont changer d’idée d’ici le 15 novembre?

***

Un mot, en terminant, sur ceux qui ont réussi. Parce qu’aux États-Unis, le Land of the Free, là où les antivax ont des représentants élus au congrès, au Sénat, et parfois à la tête de leur État, un paquet d’établissements de santé ont atteint des taux de vaccination avoisinant les 99 % pour leur personnel. Pas tous, mais plusieurs. Des établissements d’enseignement, aussi.

L’Université de Columbia en est un exemple éloquent. Quatre-vingt-dix-neuf pourcent de son personnel est maintenant vacciné. Pas des médecins, des infirmières ou des préposés aux bénéficiaires. Des profs, des employés de bureaux, des concierges.

Qu’a fait l’Université Columbia?

Elle a annoncé ses couleurs tôt, dès le mois de mai, et prévenu que tous les employés devraient être vaccinés avant le 1er septembre.

Elle a trouvé et accompagné les résistants, en leur expliquant individuellement les conséquences. Le but n’était pas de punir, mais de convaincre, et de les aider à garder leur emploi.

Et elle a envoyé un signal clair, dès le départ, qu’elle n’allait pas faire demi-tour.

Là-dessus, je vais citer le vice-président de l’Université Columbia, Gerry Rosberg :

« Nous avons dû dire que nous sommes très sérieux à propos de la vaccination. Ce n’est pas optionnel. »

Je rappelle, depuis mai.

Au Québec, et ailleurs aussi, il y a eu un peu plus de mou dans le décisionnel.

-30-

* J’ai ajouté après coup, le 15 octobre, la réponse sans équivoque donnée par le ministre de la Santé le 12 octobre, à l’effet qu’il ne « bougera pas sur la date ». Merci Infoman.

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Catégories :Covid-19, Gestion de la pandémie

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1 réponse

  1. 1. Déçu. Le nouveau tableau des com du ministre nous donne le nombre de postes vacants par région et le nombre de non-vaccinés par région. Mais pas la répartition par corps de métier, du médecin aux agents administratifs, en fonction de la réelle proximité avec le patient.
    2. Déçu. Très insignifiant employé d’un hôpital et d’un CHSLD qui re-voyage entre établissements, dans les deux sites il y a des cas de COVID, mais le virus causant la COVID doit être vraiment spécifique aux installations du MSSS qui n’appliquent pas les mêmes règles. Oui, c’était bien le cas aussi pour toutes les autres éclosions qui pouvaient avoir avant la COVID. Mais quand même, on voit l’incohérence.
    3. Déçu. Les non-vaccinés sont des humains de tous genres, de très sympathiques à franchement irritants. J’ai fais le choix personnel d’être doublement vacciné, J’aurais aimé que l’on tienne les promesses, navette jusqu’au site de vaccination annulée, primes de vaccination abolies, et maintenant ultimatum enterré …
    4. Déçu. Il y a des dizaine de requêtes pour de sérieuses réparations qui dorment dans le labyrinthe administratif, mais on nous change un écran d’ordinateur peu utilisé et en parfait état ?

    Bref, un brin déçu

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