Avant de partir en guerre contre les médecins de famille

Le Québec a un problème de médecins de famille. (Il a aussi un problème de médecins spécialistes. Une autre fois…)

On a peu de médecins de famille, on les utilise assez mal, on ne les encourage pas assez à déléguer à d’autres professionnels, et on les paie d’une façon qui incite certains d’entre eux à optimiser leur pratique d’une façon qui n’avantage pas les patients.

Bien des médecins de famille font leur gros possible, mais l’ensemble est dysfonctionnel depuis des années, ce qui a un impact sur tout le système. Ça, c’était avant que la pandémie détraque encore plus la patente.

Aujourd’hui, plus de 800 000 Québécois sont sur une liste d’attente pour un médecin de famille (oui, un Québécois sur dix…), et cette liste monte d’au moins 100 000 patients par an.

On est vraiment mal pris. Comme notre population vieillit très vite, ça n’ira pas en s’améliorant.

Le premier ministre sait tout ça. En tout cas, il ne sait peut-être pas tout, mais il comprend que ça ne va pas bien.

Récemment, M. Legault a trouvé du bon à la méthode Barrette, qui consiste essentiellement à menacer les médecins de prendre plus de patients, ou de couper leur salaire.  Ça a été essayé, sans succès.

(L’autre méthode Barrette consiste à hausser considérablement le salaire des médecins – en particulier les spécialistes comme le Dr Barrette – pour les encourager à travailler plus. Ça n’a pas fonctionné non plus.)

Cette semaine, on apprend que François Legault veut en finir avec « les médecins de famille qui ne font pas un bon travail ». Il s’est arrangé avec la Régie de l’Assurance-maladie, qui paie les médecins, pour savoir quels sont ceux qui, selon lui, ne voient pas assez de patients.

On en est rendu là. Le premier ministre microgère des individus qui rendent des services publics pour l’État.

M. Legault a raison d’être frustré devant l’ampleur du problème et ce qui semble être une impossibilité à le résoudre, mais il a une vision en tunnel. Les médecins qui ne prennent pas suffisamment de patients sont le symptôme du problème, pas sa cause.

Depuis des années, au Québec (et au Canada), on a formé des médecins au compte-goutte, quand on compare à la plupart des pays développés. On a aussi préféré payer nos médecins plus cher qu’ailleurs, plutôt que de se payer plus de médecins.

La façon dont on paie les médecins, pour chaque acte facturé, encourage plusieurs d’entre eux à optimiser leur pratique en fonction de ce qui est rentable pour eux, et non de ce qui est idéal pour les patients. Ce n’est pas machiavélique, simplement économique : des mauvaises incitations entrainent des effets pervers.

Ensuite, nos médecins de famille passent presque 40 % de leur pratique à l’hôpital, soit deux à trois fois plus qu’ailleurs au pays et en Europe.

Enfin, la pratique des autres professionnels de la santé est encore trop restreinte, ce qui fait en sorte que tout le monde se ramasse chez le médecin.

Toutes les conditions sont remplies pour qu’une catastrophe arrive. Et là, la catastrophe est arrivée. La pandémie n’était qu’un apéritif. Le plat de résistance s’en vient avec le vieillissement de la population.

Des solutions rapides

Monsieur Legault aura beau faire une clé de bras aux médecins de famille, ça ne changera pas fondamentalement les grands déterminants de notre système de santé.

Si le premier veut des résultats rapides, une meilleure option est de permettre à d’autres professionnels de la santé de faire des actes présentement réservés aux médecins, et que ça soit couvert par la RAMQ même quand un médecin n’est pas impliqué. Les infirmières (pas juste les praticiennes), pharmaciens, physiothérapeutes, chiropraticiens et autres sont compétents pour faire plus que ce qu’on leur permet présentement. C’est courant ailleurs dans le monde. Ou même dans le Nord du Québec

Une autre avenue à considérer est de faciliter l’arrivée des médecins étrangers. Le Québec est la province qui en compte le moins au pays, par une forte marge.

On devrait aussi éliminer tout de suite les quotas d’admission en médecine et laisser les universités décider combien d’étudiants elles peuvent accueillir, afin de pouvoir être un peu moins mal pris dans dix ou quinze ans. Mais ça ne fera pas de miracle demain matin.

Le risque de partir en guerre

Tout ça ne veut pas dire que M. Legault n’a pas raison de vouloir revoir la rémunération des médecins. Mais il y a une façon d’avancer un peu plus subtilement.

Biens des médecins, les jeunes en particulier, sont d’accord sur le principe. Il y a quelques années, un regroupement de médecins avait même lancé une pétition pour refuser les hausses de rémunération qu’on leur proposait.

Accuser publiquement les médecins de famille « de ne pas faire un bon travail » ne leur fera pas voir plus de patients. Et il y a un risque réel à jouer les matamores.

Au Québec, le quart des médecins de famille ont plus de 60 ans, comme le note Le Journal de Montréal. Ils ont gagné un bon revenu toute leur vie, et la plupart ont fait leur argent.

Rendu à 60, 65, 70 ans, ça se peut que t’aies moins envie de te faire écœurer. Ou même à 50 ans.

On a vu ce qui est arrivé ces dernières années avec les infirmières, dont plusieurs ont décidé qu’elles en avaient assez de tenir à bout de bras système de santé tout croche. Beaucoup trop ont quitté, même si elles n’en avaient pas les moyens.

Les médecins, eux, en ont les moyens.

Avant de partir en guerre contre les médecins de famille, M. Legault est peut-être mieux de considérer un plan B.

-30-

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Catégories :Santé

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12 réponses

  1. Les médecins omnipraticiens sont le goulot d’étranglement du système. Ils font trop de travail d’infirmières pour lequel ils sont trop payés. Vous faites un excellent diagnostic et proposez de très bonnes solutions à court terme pour améliorer la situation. J’espère que le ministre Dubé vous lit.

  2. Il semble que les solutions que tu proposes sont évidentes à tout le monda sauf au Gouvernement. La chasse gardée devrait être abolie et ainsi plusieurs professionnels de la santé (il n’y a pas que les MD) pourraient contribuer au bien-être des citoyens car ils en ont la formation pour plusieurs problèmes simples pour lesquels les patients n’ont pas de solution parce qu’ils n’ont pas accès au médecin de famille.

  3. Ça doit faire 15 ans que le gvt connait les tendances actuelles du marché du travail – féminisation, équilibre travail-loisir-famille, inter disciplinarité, vieillissement de la population et des MD, etc. Le ROME (dont j’ai fait partie) avait même organisé un forum  »best practice » avec les MD/infirmières/TS/psychologues/physios: augmenter les admissions en médecine de famille, déléguer davantage au sein d’équipes multi, équipes GMF stables 7 jours/7, etc… Mais le gargantuesque ministre Barette avait tout rejeté. En 2021, les acteurs du réseau connaissent les solutions, la santé demeure bien trop politisée et le gvt fait preuve d’aveuglement volontaire. Trouver un doc à 800 000 québécois d’ici les prochaines élections relève du délire.

    • Merci pour le commentaire. Je ne comprends pas moi non plus ce qu’ils ne comprennent pas.
      Comme vous dites, c’est politisé. Et le staff politique semble plus intéressé par les tactiques politiques que par les meilleures pratiques…

  4. Les effets du projet de loi 11

    le gouvernement :
    -contrôle les horaires des médecins
    -impose des heures supplémentaires obligatoires.
    -abolit la prise en charge hors GAMF.

    Concrètement:

    1. un diabètique sévère ( ou autres patients très malades) nouvellement diagnostiqué, ne pourra être pris par un omni, mais après 5 ans sur le GAMF, soit le temps de développer des complications : perte de visions, insuffisance rénale, maladie coronarienne, neuropathie.

    2. Les bébés passeront par le GAMF. Avec l’attente, les troubles du développement seront tous manqués.

    3. Les patients palliatifs devront attendre après leur décès pour avoir un omni avec l’attente du GAMF.

    4. Les femmes enceintes (suivi régulier requis), auront un médecin 4 ans après avoir accouché.

    5. Il n’y aura plus de temps dédié à la paperasse.

    6. Les urgences en sans RV devront être refusé, toutes les plages seront préremplies par le guichet.

    7. Le gouvernement attribuera à un médecin communiquant le LSQ des patients avec des problèmes de dépendance, et attribuer à un médecin en dépendance des patients sourds.

    8. Les médecins malades ne pourront faire un retour progressif (heures supplémentaires obligatoires).

    9. Les médecins préretraités devront choisir: heures supplémentaires obligatoires ou retraite. NB: 25% des médecins ont 60-90 ans.
    10. Le médecin avec une clientèle plus lourde sera jugé  »peu performant »

    Les pendules doivent être remises à l’heure.

    1. Les admissions en médecine sont déterminées par le ministère et par la capacité des universités, qui relève du ministère, pas de la FMOQ. Et le gouvernement nie la pénurie d’effectif.

    2. Avec une enveloppe budgétaire fixe pour les médecins, ça coûte autant d’avoir plus de médecin. (La même somme fixe sera réparti sur un plus grand nombre de médecins.)

    3. Les médecins, ne sont pas responsables des heures supplémentaires obligatoires des infirmières. Ce sont les gestionnaires.

    4. Ni les médecins, ni les fédérations bloquent l’accès aux médecins étrangers. Chaque année, une centaine ayant rempli les exigences se font refuser l’accès aux stages prérequis pour pratiquer, malgré les places laissées vides (75 cette année, 425 sur 8 ans). Ce sont les universités qui rejettent ces candidats.

    4. Les blocs opératoires ne roulent pas à capacité faute de pénurie d’infirmières .

    5. Les médecins ne sont pas à blâmer pour le CRDS. Un système du gouvernement, qui prolonge l’attente en spécialité, octroie des plages vides aux horaires des spécialistes.

    6. Les médecins ne sont pas responsables du manque d’IPS. Le nombre d’IPS formées dépendent des universités, pas de médecins.

    7. Les nouveaux médecins ne sont pas à blâmer pour délaisser la prise en charge. Chacun est obligé de faire du travail hors cabinet par le MSSS.

    8. Les médecins n’ont aucun pouvoir décisionnel du système de la santé. On est travailleur autonome, pas patron ni employeur. Nous ne sommes que des pions. On ne devrait blâmer un soldat pour une guerre perdue.

    9. L’approche actuel : Forcer les médecins qui peuvent en inscrire davantage, soit ceux exempt d’AMP (activités obligatoires souvent hors cabinet), donc en préretraite, pour ensuite en laisser plus d’un coup au GAMF au moment de leur retraite. Cette approche n’a pas fonctionné par le passé.

    Les solutions existent…
    Voici des suggestions concrètes, mesurables et applicables :

    À court terme 
    1) Combler les places en résidences laissées vides de l’année 2021. (75 places vides cette année, malgré le rejet de 100 médecins étrangers ) Ces places ont déjà été budgetté, donc 0$ de nouvelles dépenses.

     Concrêtement, 75 medecins de plus en 2 ans, soit +- 75 000 prise en charge par année (9.34% du gamf actuel de plus par an) Nous pouvons produire des résultats concrets en peu de temps.

    Pour mettre les choses en perspectives, si toutes les places non comblées auraient été offertes à des medecins étrangers: 425 en 8 ans; 425 000 patients auraient eu un médecin, soit 86.5% du GAMF prépandémie en 2019.

    2.arrêter le dénigrement de la profession. 25% des médecins de l’ordre ont 60-90 ans. Si plus partent à la retraite on perpétue le problème.

    3.Rappatrier les medecins non-ramq au publique (si on parvient à en ravoir un autre 75, on parle d’un autre 75 000(9.34% du gamf) en 1 ans. Aucun coût supplémentaire. un moratoire des PREMs serait suffisant.

    À moyen terme
    1. Accompagner les médecins et infirmières étrangers dans leurs démarches.

    En ce moment:Les médecins étrangers doivent compléter les exigences requises pour ensuite se faire refuser l’accès aux stages requis par des universités qui préfèrent avoir des places libres au lieu de former un médecin étranger.

    les candidats se font demander l’impossible :  
    -ils doivent rester au Canada pour avoir la résidence permanente requise, ce qui prend un certain temps, mais on leur demande en même temps d’avoir de l’experience médicale récente de leur pays.

    – ils doivent avoir de l’experience canadienne et des lettres de references nord-americaines pour avoir leur permis de stage, mais le permis de stage est requis pour faire des stages au Canada ou aux États Unis.

    2. Un système pan-québécois de dépistage: suivant le modèle actuel pour le cancer du sein qui ne passe pas par les médecins. On peut faire pareil pour le cancer du colon, du cervix, le diabète, de l’hypercholestérolémie, de l’hypertension, l’ostéoporose.

    On désengorge les consultations pour des « depistage generale ». Ça permettrait aussi une prise en charge immédiate et rapide du bilan general pour les 743 523 patients orphelins.

    3. Déléguer les tâches hospitalieres aux spécialistes.

    4. Abolition des PREM. Ces obligations qui forcent le medecin a se deplacer a une region precise et qui empechent les autres médecins du reste du Canada de venir.

    5. Former plus d’IPS , de médecins, de preposes, TS etc… Chaque dollar investi en premiere ligne sauve énormement. Ex. . La visite médical de prevention (31$) vs un jour à l’hopital pour un problème non dépisté ( 2 000$).

    À long terme
    1.plus d’IPS et de MD

    2.Meilleures délégation aux autres professionnels

    3. Promouvoir la prévention

    4. l’abolition des notes medicales pour absences courtes

    5. accès universels en physio et au psy sans passer par le médecin

  5. Repenser un système de santé hospitalo-centré.
    Fraire renaître les CLSC comme le recommandait M. Claude Castonguay et ainsi
    –désengorger les urgences des hôpitaux;
    –ne pas privatiser notre système de santé avec les GMF

  6. Retenez vos larmes de rire ou de tristesse ! En relisant ce communiqué du gouvernement du 25 septembre 2014:

    Réforme du réseau de la santé et des services sociaux – Le patient au centre de nos décisions

    Le ministre de la Santé et des Services sociaux, monsieur Gaétan Barrette, a présenté aujourd’hui à l’Assemblée nationale, le projet de loi no 10 visant à modifier l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux, notamment par l’abolition des agences régionales.
    « Les changements proposés par le projet de loi ont pour objectif d’assurer une véritable intégration des services, permettant ainsi un parcours de soins plus simple et plus fluide pour les patients. Ils visent également à alléger les structures et la bureaucratie au profit d’une gestion administrative plus rigoureuse et plus saine. Enfin, il en résulterait une ligne d’autorité, de gouvernance et d’imputabilité plus claire. Nous voulons briser les silos, qui sont souvent des obstacles dans le parcours de soins des patients, pour nous donner un réseau de santé et de services sociaux plus fonctionnel », a déclaré le ministre Barrette.

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  1. Mercredi 27 octobre 2021 - Revue de presse de l'AMOM - Association des médecins omnipraticiens de Montréal
  2. Wednesday, October 27th 2021 – AMOM Press Review - Association des médecins omnipraticiens de Montréal
  3. Le réel danger de la réforme Dubé – Le blogue de Patrick Déry

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