Les « top guns» et le « danger zone » de Christian Dubé

Le projet de loi 15, qui crée Santé Québec, passe à côté d’enjeux cruciaux et urgents. Plus on attend, plus ce sera douloureux.

«Il y a une opportunité incroyable. Les crises permettent aux organisations de se repenser, de se renouveler. On ne peut pas continuer à vivre avec un système de la santé qui est si fragile. »

Ainsi parlait Christian Dubé il y a un peu plus d’un an, le 18 janvier 2022. Le Québec subissait de plein fouet la vague Omicron, la covid fauchait jusqu’à 80 Québécois chaque jour, et nos infirmières et médecins tenaient à bout de bras un système qui menaçait une fois de plus de s’effondrer.

Le ministre Dubé a raison quand il dit que les crises créent des opportunités. Mais doit-on faire n’importe quoi, juste pour « faire quelque chose » ? Hormis quelques syndicats, on voit tellement peu de résistance à la réforme Dubé – ou Savoie – qu’on a parfois l’impression qu’on en est rendu là. Le désespoir est-il en train de prendre le dessus sur l’esprit critique?

Personne ne doute que Christian Dubé soit un honnête homme, qu’il ait le cœur à la bonne place ou qu’il ait fait de bonnes choses depuis qu’il est ministre de la Santé.

Il reste que son projet de loi 15 fait courir un immense risque à notre système de santé. Paradoxalement, malgré son envergure, c’est moins par ce qu’il fait que par ce qu’il ne fait pas.

Le ministre Dubé a beau répéter qu’il veut que des « top guns » sauvent le système de santé, sa réforme nous entraîne dans un « danger zone ».

Les bons coups : les indicateurs et le « privé dans le public »

La plus grande contribution de M. Dubé est sans doute la détermination dont il a fait preuve pour rendre accessibles une foule d’indicateurs (décourageants) sur la performance de notre système de santé, auxquels de nouveaux continuent de s’ajouter.

Compte tenu de la performance médiocre de nos hôpitaux et du système en général, le politique et la haute fonction publique étaient historiquement avares de détails, sauf lorsqu’ils pouvaient présenter les données de façon favorable ou qu’une demande d’information leur forçait la main. Et même là, le politique trouvait souvent des prétextes pour ne pas lâcher le morceau. Le Québec s’est aussi trop souvent distingué pour le peu de données qu’il partageait avec l’Institut canadien d’information sur la santé, qui compare la performance des provinces.

Comme on le sait, ce qui ne se mesure pas peut difficilement s’améliorer. Christian Dubé a changé ça. Maintenant, on le mesure et on l’affiche, même si ça fait mal. C’est aussi gênant qu’essentiel.

L’ajout au tableau de bord du ministère de la Santé d’indicateurs locaux, permettant de comparer la performance des établissements (les CISSS et les CIUSSS) et même des installations individuelles (les hôpitaux) est un autre développement positif. Quand ça va aller mieux ou moins bien quelque part, on va le voir. Les questions et réponses que cela va soulever vont aider à la diffusion et à la reprise des meilleures pratiques ailleurs dans le réseau.

L’expansion de la couverture publique des opérations effectuées dans les cliniques privées (les centres médicaux spécialisés, ou CMS) est aussi une excellente chose. Oui, c’est géré par le privé. Oui, ces cliniques peuvent faire des profits – qui devraient être conditionnels à l’atteinte de cibles cliniques. Mais ces petits établissements dédiés à certains types de chirurgie sont aussi plus efficaces que les grands hôpitaux généralistes. Autrement dit, les ressources qu’on y emploie ont, à ressources égales, une capacité de générer un plus grand volume de soins. Des dizaines de milliers de Québécois en ont profité ces dernières années.

Cette plus grande efficacité de petites cliniques spécialisées n’est pas une question d’idéologie, mais d’incitations, dont le résultat est purement factuel. Ça répond aussi à la question du déplacement éventuel de ressources (le personnel) des hôpitaux vers les CMS : non seulement il n’y aura pas de pertes, mais il pourra y avoir des gains nets.

Compte tenu de nos ressources limitées et de nos besoins croissants, on en a absolument besoin. L’expérience européenne montre que c’est tout à fait possible de préserver l’universalité de la couverture et d’améliorer l’accessibilité des soins, à l’intérieur de régimes publics universels. Et ça ne coûte pas plus cher : les dépenses publiques de santé par habitant des pays européens, en proportion de la taille de leur économie, sont généralement dans le même ordre de grandeur qu’ici. Des économies peuvent résulter de la gestion privée, si c’est fait intelligemment. Ça peut même rendre des employés et des syndicats heureux.

Le gouvernement de la CAQ a aussi annoncé l’arrivée de mini-hôpitaux privés, qui poussera cette expérience un peu plus loin, une autre bonne nouvelle. Dans des systèmes semblables au nôtre (où le gouvernement est le payeur unique pour les soins hospitaliers), des hôpitaux gérés par des entrepreneurs peuvent surclasser en termes de performance les hôpitaux gérés par l’État. En France, en Italie, en Allemagne et en Espagne, le tiers et plus des hôpitaux sont privés, à but lucratif. C’est sans compter les OBNL indépendants qui fonctionnent hors du giron de l’État. C’est même le cas au Canada, où il subsiste encore un certain nombre d’hôpitaux privés conventionnés, vestiges d’une autre époque. Les mini-hôpitaux devraient avoir un mandat moins large que nos hôpitaux publics. Encore ici, la spécialisation – courante en Europe – est une bonne chose.

On doit donc le répéter en majuscules, vu que la présence croissante du « privé dans le public » semble virer à l’obsession pour certains syndicats, et mêmes quelques médecins : LA PRÉSENCE CROISSANTE DU SECTEUR PRIVÉ N’EST PAS EN SOI UNE SOURCE DE PROBLÈMES POUR NOTRE SYSTÈME DE SANTÉ. En autant que le financement reste public.

Si la simple présence du privé causait problème, le Canada-où-tous-les-hôpitaux-sont-heureusement-publics aurait le meilleur système de santé au monde. On est plutôt celui qui a inventé la médecine de corridor, et celui où un hôpital a dû envoyer son surplus de patients au Tim Hortons voisin. Avec les civières.

Le Bonhomme Sept Heures du privé est une distraction. Il y a d’autres enjeux avec la direction qu’a choisie M. Dubé pour sa réforme. C’est là-dessus que notre attention devrait porter.

Saint-Christian, priez pour nous

Il devient de plus en plus difficile de s’opposer, ou simplement de critiquer la réforme déposée par le gouvernement de la CAQ.

La première raison est le statut quasi canonique qu’a atteint le ministre Dubé pendant la pandémie. La seconde, le sentiment qu’il faut faire quelque chose avant de frapper le mur vers lequel on fonce à toute vitesse. On espère tous un miracle. Vite.

Ça ne veut pas dire que tout ce qu’il y a dans le projet de loi 15 est judicieux, ni qu’il s’attaque aux problèmes les plus urgents.

D’abord, le colosse législatif déposé par Christian Dubé est imposant, presque autant que le système qu’il prétend améliorer : 300 pages, et 1200 articles qui modifient 37 lois. Ça fait du projet de loi 15 le plus gros de toute l’histoire de l’Assemblée nationale, à l’exception des réformes du Code civil ou de procédure pénale. À titre de comparaison, la Loi sur la régie de l’assurance maladie de 1969, qui a mis au monde notre système de santé public moderne, ne comptait que 43 articles.

L’obésité extrême du PL 15 risque de rendre son étude attentive par les parlementaires très longue et très complexe. La possibilité d’une adoption avant l’été diminue en même temps que celle d’un recours au bâillon augmente. Une réforme aussi étendue mériterait mieux que l’adoption péremptoire par des députés ne représentant que 41 % des Québécois. Même s’il y a urgence.

Le dépôt et l’adoption des différents volets de la réforme Dubé auraient pu être accélérés si le gouvernement l’avait présenté en pièces législatives détachées, plus faciles à digérer qu’un projet de loi pharaonique.

La vérification de la satisfaction des patients, l’implantation de gestionnaires locaux, la diminution du nombre d’accréditations syndicales et l’imposition d’activités hospitalières aux médecins spécialistes sont assez peu liées entre elles et auraient très bien pu être légiférées et implantées séparément, à mesure qu’ils étaient prêts. Les effets positifs espérés auraient été ressentis plus vite et, le cas échéant, les correctifs requis apportés plus rapidement.

On peut se demander pourquoi le gouvernement a choisi l’approche mammouth. La réponse est probablement, et malheureusement, politique.

Enfin, l’ampleur même du projet de loi 15 fait en sorte que très peu de gens comprennent dans les détails tous ses effets. Une partie de cet impact reste vraisemblablement encore à découvrir.

Allons-y donc avec ce qu’on sait.

(Si vous voulez vous préparer un café, c’est le bon moment. J’aurais aimé compacter ça en 800 mots bien tassés, mais le sujet est trop vaste. Mes excuses, et blâmez le gouvernement!)

C’est gros, très gros, trop gros

Qu’on appelle ça un ministère ou une agence, ça reste gros, très gros, trop gros. Le système de santé québécois compte 330 000 employés, sans compter les médecins et tous ceux qui gravitent en périphérie du système public, comme les pharmaciens.

C’est gargantuesque. Pour donner une idée, c’est plus d’employés que des multinationales comme Costco, Pepsi ou Nestlé. À titre d’exemple, Desjardins compte environ 45 000 employés au Québec. Notre système de santé, c’est sept fois l’omniprésente Desjardins.

Il compte aussi plus de 100 hôpitaux, 200 CLSC, et 400 CHSLD, ainsi que des centaines de cliniques médicales affiliées à la RAMQ. Il emploie 80 000 infirmières, infirmières auxiliaires et inhalothérapeutes, 100 000 préposés et auxiliaires, 70 000 techniciens, 45 000 employés administratifs, 10 000 cadres, 2000 pharmaciens et 21 000 médecins, sans compter les milliers de pharmaciens propriétaires, physios, chiros et autres, chacun avec son domaine d’expertise. Juste aux urgences, notre système reçoit environ quatre millions de visites chaque année. En tout, nos médecins facturent plus de 50 millions d’actes, et nos pharmaciens traitent près de 300 millions de prescriptions. Le tout réparti sur un territoire trois fois grand comme la France. L’ampleur et la complexité de toutes ces interactions dépasse notre imagination.

C’était trop gros pour des gens aussi intelligents que Philippe Couillard, Yves Bolduc ou Gaétan Barrette, et d’autres avant eux. Que l’on installe à la tête d’une future Santé Québec Elon Musk, Stephen Hawking ou Tom Cruise, il n’existe personne qui puisse avoir une vue d’ensemble de ce qui se passe à Sept-Îles, Saint-Jérôme, Sherbrooke et Longueuil, ni une compréhension assez fine pour planifier, puis allouer les ressources (souvent insuffisantes) où elles sont requises. C’est un des maux chroniques qui affligent notre système de santé depuis des décennies. Le Léviathan est indomptable.

Comme l’a rappelé récemment Michel Clair – un ex-ministre de la Santé qui attend depuis 20 ans que l’on mette en place ce qu’il y a dans son estimé rapport –, il faudrait « être malade » pour penser être capable de gérer ça presque tout seul, du haut de la pyramide. Ce qui n’a pas empêché plusieurs d’essayer et de se casser les dents, et les nôtres en même temps.

La centralisation décisionnelle de notre système de santé crée aussi un goulot d’étranglement autour du bureau du ministre, où tout doit remonter très lentement jusqu’à la tête avant de redescendre, à la vitesse de l’afflux sanguin d’un monstre immense dont le cœur bat trop lentement. Que le décideur ultime soit un ministre ou un « top gun » risque de ne pas changer grand-chose si la culture du système reste la même et que l’initiative personnelle est découragée.

La planification centralisée à grande échelle ne fonctionne jamais. Elle ne fait que créer de l’inefficience et des pénuries. C’est empirique et historique. Les économistes le savent et le répètent, mais les politiciens et les hauts fonctionnaires, qui aiment avant tout le pouvoir et le contrôle, écoutent rarement. Sans surprise, les grandes organisations qui ont du succès sont décentralisées et dépolitisées. Ça vaut pour les grandes entreprises, l’armée ou les systèmes de santé.

« Hydro-Santé », vraiment ?

C’est d’ailleurs un peu ironique d’idéaliser Hydro-Québec en tant que modèle à suivre pour Santé Québec, quand on sait qu’Hydro n’est pas exactement un parangon de performance – à ne pas confondre avec rentabilité : l’écart entre les deux ne saute pas toujours aux yeux mais n’en est pas moins une perte réelle.

C’est immense Hydro-Québec, ça porte notre nom, ça traverse notre histoire, ça nous rend nostalgique et ça inspire même des pièces de théâtres, mais aucune de ces raisons n’a de base rationnelle pour en faire un modèle de fonctionnement pour notre système de santé.

Quant à l’indépendance d’une éventuelle « Hydro-Santé », on a qu’à penser à ce qui est arrivé lorsque sa PDG Sophie Brochu et la CAQ ont différé d’opinion sur la direction à suivre, en dépit de ce que les expertises sérieuses demandaient. Indice : l’« indépendance » a pris le bord.

Si les top guns de Santé Québec doivent répondre aux diktats du ministère pour conserver leur poste, il est difficile de concevoir que les employés à l’autre bout de la chaîne alimentaire auront plus de latitude. Christian Dubé est sans doute sincère, mais il n’est pas éternel. Ce qu’il souhaite mettre en place doit être assez fort pour lui survivre.

Michel Clair, qui parlait de décentralisation avant que tout le monde comprenne ce que ça signifie, ne voit pas non plus de décentralisation dans la réforme actuelle, malgré ce qu’en dit le ministre.

En ce sens, Gaétan Barrette a raison quand il applaudit la réforme Dubé, qu’il perçoit comme un aboutissement de la sienne. Juste ça, ça devrait nous inquiéter.

Sortir la santé du ministère

D’autres provinces ont des agences de santé : en Ontario, en Alberta, en Saskatchewan et en Nouvelle-Écosse, comme le rappelle André Picard, chroniqueur spécialisé en santé au Globe and Mail. Il n’y a pas eu de miracles là non plus. La performance de ces systèmes est globalement moins pire que celle du Québec, mais le Canada reste quand même en queue de peloton des pays développés pour la plupart des indicateurs de performance ou d’accès aux soins. Vu de notre côté de l’Outaouais, l’Ontario a peut-être l’air du paradis, mais des Allemands, des Norvégiens ou des Australiens pourraient avoir un autre point de vue.

Le ministre Dubé a raison de vouloir donner plus de latitude décisionnelle aux composantes régionales de notre système de santé (CISSS, CIUSSS) et mêmes aux installations individuelles (hôpitaux, CLSC, CHSLD). La bonne façon d’y arriver est de donner plus d’autonomie à la base, sans que les décideurs locaux, et même le personnel sur le plancher, ne craignent les conséquences de tenter de nouvelles choses. Ou de pointer les problèmes à visage découvert, sans avoir peur de faire l’objet de mesures disciplinaires.

En somme, ce n’est pas du cerveau d’un « top gun » dont notre système de santé a besoin, mais de ce qu’il y a dans le cerveau des centaines de milliers de gens qui œuvrent à l’intérieur ou autour, ou qui le fréquentent en tant que patients ou accompagnateurs.

La nomination de gestionnaires locaux est une première condition de succès. Mais la meilleure façon de sortir les opérations quotidiennes du giron ministériel (et politique) serait de les mettre hors de leur portée, une fois pour toutes. Le ministère, soutenu par l’exécutif et le législatif, se concentrerait sur les orientations et les grands déterminants du système de santé : étendue des soins et des médicaments couverts, enjeux professionnels, champ de pratique des soignantes et soignants, mise en place et suivi d’indicateurs de performance, financement à hauteur requise des infrastructures et des soins, et ainsi de suite.

… et la confier à des gouvernements locaux

La compétence du ministère et le champ d’intervention politique s’arrêteraient là. Fini la politique, les directives, les nominations de PDG ou de membres de c.a., ou toute autre tentative d’intervention ou de micro-gestion mal placée. La porte serait fermée de façon législative.

La gestion quotidienne des hôpitaux, des CHSLD et du reste serait fractionnée et déléguée au niveau régional, même local, comme c’est souvent le cas en Europe. Oubliez Santé Québec. Pensez Santé Lanaudière, Santé Mauricie, Santé Estrie, Santé Côte-Nord, Santé Gatineau et Santé Laval. La gestion des hôpitaux et des CHSLD pourrait être regroupée avec celle des écoles ou du transport, au sein de gouvernements locaux. Vous trouvez ça farfelu? Ça se fait en Europe.

Au lieu d’une poignée de ministres (Santé, Services sociaux, Aînés) qui n’ont aucune idée de ce qui se passe à des centaines de kilomètres de leur bureau, on aurait des responsables élus partout au Québec. Et le ministre arrêterait de devoir se lever au Salon bleu chaque fois qu’il manque un diachylon.

On ferait aussi suivre le financement du système de santé selon les besoins des patients, sans conditions et sans rationnement (ça vient tout juste de commencer pour les hôpitaux, enfin!).

Bref, une sorte de fédéralisation idéale de notre système de santé, à l’intérieur du Québec. Ça, ça serait une vraie révolution!

Mais le projet de loi 15 va pas là. On va avoir une autre énorme patente dont le grand patron et plusieurs dirigeants vont être ultimement nommés par le politique, alors que toutes les bonnes pratiques pointent dans la direction inverse.

Vous excuserez donc mon manque d’enthousiasme.

L’ancienneté « provinciale » : bonne chance

Quand une infirmière commence, elle peut s’attendre à travailler à peu près n’importe quand pendant plusieurs années. La stabilité peut apparaître au bout de dix ans sous la forme d’un horaire de nuit. Éventuellement, le cumul de l’ancienneté va faire en sorte que l’on se rapproche (un peu) d’un horaire de jour, en semaine. Le purgatoire du début de carrière n’est plus qu’un mauvais souvenir. Ce portrait un peu grossier correspond au parcours de bien des infirmières.

La logique syndicale actuelle fait que si une travailleuse de la de santé « change d’employeur » en changeant d’établissement (et parfois simplement d’hôpital, comme à Montréal), elle perd son ancienneté et recommence au bas de l’échelle. Ça vaut pour les infirmières et toutes les autres.

C’est un irritant énorme lorsqu’on a cumulé 15 ou 20 ans de pratique et qu’on a enfin réussi à se sortir des éprouvants non-horaires de travail du début de carrière. À la marge, et dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre où il est relativement facile de se réorienter, c’est suffisant pour que des gens décident simplement quitter le système de santé. Nous n’en avons pas les moyens.

La solution du projet de loi 15 à cet enjeu réel est d’étendre la notion d’ancienneté à l’ensemble de la province. Ça ne va que déplacer le problème, et probablement en créer d’autres.

Au lieu de perdre son ancienneté en déménageant de Magog à Montréal (ou en sens inverse), une infirmière qui cumule plus d’ancienneté va « bumper » une plus jeune dans un poste moins favorable. On n’y gagnera rien. Et bonjour l’ambiance entre les nouveaux collègues…

Avec les milliers de postes à combler un peu partout dans le système présentement, il sera intéressant de voir quel genre de mouvements le PL 15 va engendrer, lorsqu’il entrera en vigueur. Aussi, quel sera impact sur l’attractivité du personnel dans les régions plus éloignées, ou même à Montréal.

Surtout, ça ne règlera pas le décrochage des infirmières en début de carrière, que les horaires sauvages poussent à quitter la profession. (On perd aussi beaucoup de jeunes enseignants pour des raisons semblables.) Ça ne règlera pas non plus l’enjeu du temps supplémentaire obligatoire, que la pénurie de personnel exacerbe.

Ici, le gouvernement devrait puiser pleinement à sa « réserve de courage » pour dire les choses telles qu’elles le sont : on ne se sortira jamais des problèmes de personnel tant qu’on vivra sur une fiction qu’un système de santé qui fonctionne 24 heures par jour, 7 jours semaine, peut offrir du 9 à 5, du lundi ou vendredi – ou à peu près – à une partie de ses employées, une fois qu’elles auront mangé leur ration de pain noir pendant quelques années.

La solution est relativement simple et connue, et elle existe en Europe, ailleurs au pays, au Québec dans les hôpitaux anglophones et même quelques hôpitaux francophones : des quarts en rotation pour tout le monde, sans égard à leur ancienneté, idéalement sous la forme de quarts de douze heures, de jour ou de nuit. La semaine de travail étant raccourcie à trois jours et des poussières, c’est plus invitant de se porter volontaire pour remplacer. Certains vont choisir la nuit d’office.

Encore ici, on a l’impression que le projet de loi 15 ne fait que pelleter le problème en avant, que rien ne sera réglé, et que tout sera à recommencer dans quatre ou cinq ans.

Les médecins, comme la confiture

Les médecins québécois gagnent généralement beaucoup d’argent, plus que dans la plupart des pays développés.

C’est vrai pour les médecins de famille. Ça l’est davantage pour les spécialistes, dont la rémunération moyenne dépasse allègrement les 500 000 $ pour plusieurs spécialités.

La forte hausse de rémunération qu’ont connue les médecins il y a une douzaine d’années devait amener ceux-ci à travailler plus. C’est probablement l’inverse qui s’est produit, et c’est facile de comprendre pourquoi : s’il est possible de générer, 300 000 $, 400 000 $ en quatre jours, la semaine de travail écourtée devient plus attrayante, et le confort de la clinique plus intéressant que le chaos des horaires d’hôpitaux ou des nuits de garde.

Le simple fait de le mentionner fâche bien des médecins, qui jurent qu’ils travaillent tous très fort. Mais même le syndicat des médecins spécialistes reconnait que certains de ses membres pourraient en faire plus. Et puis, les données disent ce qu’elles disent.

La solution du projet de loi 15 est d’obliger les médecins spécialistes à être plus présents à l’hôpital par le biais d’activités obligatoires, un peu comme on l’a fait avec les médecins de famille. Ici, il est intéressant de noter que Christian Dubé reprend pour les spécialistes la solution que son patron, François Legault, avait appliquée aux médecins de famille lorsqu’il était ministre de la Santé dans un gouvernement péquiste.

(M. Legault avait forcé les médecins de famille à faire un certain nombre d’heures à l’hôpital. On subit encore aujourd’hui les conséquences de cette décision malavisée, qui limite la disponibilité de nos médecins de famille pour la médecine… familiale.)

Dans le cas des spécialistes, ça aurait plus de sens de les ramener à l’hôpital, surtout si c’est pour retourner des médecins de famille dans leur cabinet. Mais il n’y aura pas de miracle. Parce que le problème fondamental de notre manque d’accès aux médecins est un… manque de médecins.

Le Québec a beau compter un peu plus de médecins que la moyenne canadienne, il en a moins que la plupart des pays développés. Gaétan Barrette a beau répéter chaque fois qu’il le peut qu’on a suffisamment de médecins, notre manque de toubibs est réel, documenté et chronique.

Donc, si on ajoute des spécialistes à l’hôpital, il va en manquer ailleurs. Les médecins partagent cette caractéristique avec la confiture.

Bien sûr, il y a moyen d’optimiser, et il serait possible de mieux employer nos médecins de famille (hors des hôpitaux) et spécialistes (à l’hôpital). Mais même ailleurs au pays, où les médecins sont mieux utilisés, les systèmes de santé canadiens se distinguent par leur difficulté à voir un médecin en temps opportun.

La solution à ce problème n’est pas de déshabiller Gaétan pour habiller Christian, mais de faire sauter le goulot d’étranglement autour des médecins.

On pourrait s’aider de trois façons. Ça ne nécessite pas un projet de loi de 1200 articles, et ça pourrait aussi se faire assez rapidement, avec un peu de volonté politique.

Laisser les soignants soigner

La première façon serait d’élargir le champ de pratique de tous les soignants à leur capacité professionnelle complète. Autrement dit, de leur laisser faire tout ce pourquoi on les a formés.

Présentement, cette compétence est limitée par ce que le gouvernement et le Collège des médecins veulent bien autoriser. Des progrès notables ont été réalisés ces dernières années, notamment du côté des pharmaciens et des infirmières praticiennes, mais on pourrait aller bien plus loin, même pour les infirmières « normales ».

Dans le nord du Québec, où il manque de médecins, nos infirmières traitent des pneumonies, des des infarctus et procèdent même des accouchements, mais perdent cette compétence lorsqu’elles franchissent le 49e parallèle en direction sud. Ça montre, sans nécessairement aller jusque-là, que nos infirmières peuvent en donner plus, si seulement on les laissait faire.

L’élargissement du champ de pratique des infirmières serait aussi plus facile à réaliser si la formation des infirmières étaient rehaussée au niveau universitaire, comme partout ailleurs au pays. Présentement, l’Ordre des infirmières du Québec ne mesure que les connaissances acquises au cégep. Malheureusement, tenir une discussion rationnelle sur ce sujet est extrêmement difficile.

D’autres professionnels de la santé n’attendent aussi que d’en faire plus. C’est notamment le cas des physiothérapeutes, chiropraticiens, paramédics, travailleurs sociaux et psychologues. Le principe reste le même : chaque fois qu’une visite chez le médecin est évitée, c’est un patient de plus qu’on peut soigner.

Couvrir tous les soins, peu importe par qui et où ils sont donnés

La deuxième façon serait de faire en sorte que notre carte soleil couvre davantage de soins, sans rationner selon le lieu où ils sont donnés, ou le professionnel qui les fournit.

Les radiographies et les examens d’imagerie sont toujours couverts lorsqu’ils sont faits à l’hôpital. Mais dans une clinique, c’est variable : parfois oui, parfois non.

Ça change aussi selon le professionnel de la santé qui prescrit la radiographie. Par exemple, les chiropraticiens sont assez compétents pour demander, recevoir et interpréter les résultats d’un examen d’imagerie (quand il s’applique à leur domaine d’expertise). Par contre, ils ne sont apparemment pas suffisamment compétents pour que le gouvernement rembourse l’examen aux patients. Ceux qui ont une bonne couverture d’assurance s’en tirent un peu mieux, d’autres paient de leur poche, s’ils en ont les moyens.

Mais beaucoup de patients vont aller voir le médecin pour obtenir une prescription pour le même acte, simplement pour que ce soit « gratuit ». C’est complètement aberrant. En plus de payer pour la radiographie, le gouvernement se trouve à payer pour une consultation médicale superflue, et un patient prend la place d’un autre.

Il y a d’autres exemples. Pensez à tous ces médicaments que vous prenez depuis des années et pour lesquels le pharmacien doit encore envoyer un fax à votre médecin de famille pour avoir l’autorisation de renouveler. Il y a des gains d’efficience à faire, des victoires faciles qu’on devrait avoir acquises depuis longtemps.

Le principe devrait être simple et clair : les professionnels de la santé devraient pouvoir exercer leur plein champ de pratique; et à l’intérieur de ce champ de pratique, le gouvernement devrait rembourser les soins médicalement nécessaires, peu importe par qui et où ils sont donnés. Essentiellement, comme en Europe du nord.

Ça aussi, ça serait toute une révolution.

Les dépenses de santé augmenteraient sans doute à court terme. Mais ça serait plus juste que la situation actuelle.

À ceux qui se préoccupent de la pérennité du régime public et de l’impact sur nos finances – et j’en suis – on pourrait aller chercher des économies dans la rémunération des médecins. Certaines spécialités ont vu leurs revenus exploser en raison de gains de productivité liés à la technologie. On peut penser notamment à la radiologie diagnostique ou à l’ophtalmologie : les radiographies se lisent plus vite à l’ordinateur qu’à la mitaine, et les cataractes s’opèrent plus vite avec le laser qu’au scalpel. Normalement, dans le monde réel, ça aurait dû engendrer des économies. Dans notre système de santé, l’inverse est arrivé.

Du point de vue des opérations gouvernementales, on pourrait faire d’autres choix. Il y aurait aussi des sommes importantes à épargner du côté d’un certain projet de bitube, ou des subventions aux grandes entreprises, immenses et improductives. On arrose les milliards où on le veut bien. Question de priorités.

Plus de médecins, le plus vite possible

La troisième façon serait d’avoir plus de médecins.

On pourrait commencer par simplifier la vie des médecins qui tentent de travailler ici et qui finissent par quitter, soit pour une autre province ou pour retourner dans leur pays.

Ensuite, augmenter tout de suite le nombre d’admissions en médecine à la pleine capacité des facultés, plutôt que de laisser le gouvernement déterminer les quotas d’admission selon des critères parfois discutables, comme une crainte farfelue de chômage médical. Il y a six ans, cela avait amené le Dr Barrette, convaincu qu’il y avait « trop » de médecins, à réduire le nombre d’étudiants en médecine. Certains commenceraient à pratiquer. Ça n’aurait pas nui…

Hausser le nombre d’étudiants en médecine va prendre des années à produire ses effets, mais au moins, on finira par avoir un peu d’aide. (Mise à jour : le gouvernement a fini par le faire.)

Éventuellement, il faudrait aussi se poser des questions sur la rémunération des médecins, et même sur leur statut professionnel. En Europe, les médecins dans les hôpitaux tendent à être des salariés comme les autres, qui peuvent être embauchés et congédiés.

Évidemment, c’est plus facile à faire quand les regroupements de médecins ne nous tiennent pas par le bistouri.

Cinq principes et quelques idées

Il y aurait d’autres choses à dire, mais l’essentiel est couvert.

Une réforme urgente devrait verser moins dans le tripotage de structures, et plus dans les déterminants fondamentaux du système.

Le premier principe est de faire tout ce qui peut aider, tout de suite, même si ce n’est pas parfait. Ça mène aux deux suivants.

Le second principe devrait être celui de la capacité professionnelle complète de tous les soignants, selon leur formation respective, et peu importe ce qu’en pense le Collège des médecins. On ne parle plus de « low hanging fruits » : ils sont par terre, en train de pourrir, on n’a qu’à les ramasser.

Le troisième devrait être de couvrir tous les soins médicalement nécessaires, peu importe par qui et où ils sont donnés. Pour être clair : un système « privé » parallèle, hors du système public, où le patient paie de sa poche, ne devrait plus exister pour des soins requis. (Sauf, peut-être, si c’est en surplus d’un nombre minimal d’heures obligatoires dans le système public. Ça, ça ajouterait de la capacité réelle.)

Le quatrième principe devrait être celui de la transparence totale. Pour les indicateurs, les données et les documents gouvernementaux en général. Le politique n’en est que le fiduciaire. C’est à nous que ça appartient. Nos décideurs et leur personnel d’hyper-contrôlants ne devraient plus rien avoir à dire là-dessus.

Un cinquième devrait être celui de la délégation, autant en termes de compétences que de financement. L’innovation ne voit jamais le jour dans un carcan centralisé. Le ministère ou la nouvelle agence devra laisser aller les établissements et les hôpitaux. Parfois, ça va causer des erreurs, même des dégâts. Mais le statu quo sera certainement plus dommageable. Et les bons coups, contrairement aux mauvais, seront répétés. Pour que ça fonctionne, l’argent devra suivre le volume de patients, sans autres conditions que le respect des normes professionnelles et l’affichage d’indicateurs. La transparence va mettre de la pression sur l’efficacité.

D’autres incitations perverses de notre système de santé devront être corrigées. La notion d’ancienneté devrait être revue, et les quarts de travail mieux répartis. Le rationnement des actes et des médecins devrait être aboli. La technologie, embrassée.

Le Québec est en retard. Ce n’est pas normal que la télémédecine dans le système public se limite encore essentiellement à ce que votre prochain rendez-vous se déroule au téléphone. On pourrait aller beaucoup plus loin, beaucoup plus vite, en se concentrant sur les bénéfices globaux pour l’immense majorité des patients que sur les quelques problèmes que cela pourrait causer. Qu’on arrête aussi d’espérer un seul système informatique et monolithique pour toute la province. On n’y arrivera jamais. Il est possible tout à fait possible d’établir des standards informatiques à respecter pour que des systèmes de différentes régions ou que différents établissements arrivent à se parler et à se comprendre. Ça se fait ailleurs en santé, dans d’autres domaines aussi, notamment bancaire. La bureaucratie devra être allégée; nos médecins ont mieux à faire que de remplir les formulaires.

Oh, et la prévention, pour les aînés en particulier, avec l’aide des paramédics, une des professions de la santé les plus sous-utilisées au Québec. Le patient qui est moins malade reste le plus facile à soigner.

Le chiffre qui fait peur

Le quart des médecins québécois ont plus de 60 ans.

C’est LE chiffre de notre système de santé qui m’empêche de dormir la nuit.

Nos hôpitaux craquent de toutes parts. Les listes d’attente s’allongent pour toutes sortes de chirurgies et de traitements. C’était pathétique avant la pandémie, c’est critique aujourd’hui. Même si, en théorie, on vous assigne un médecin ou un groupe de médecins, avoir un rendez-vous au moment opportun est loin d’être garanti. Nos urgences engorgées restent encore la porte d’entrée pour trop de patients, qui vont y poireauter pendant un temps record, le plus long au pays, et possiblement dans tous les pays développés. Les listes d’attente continuent de s’allonger, pour voir un médecin spécialiste ou pour être opéré. Ça, c’est la déprimante photographie au printemps 2023.

Ajoutez ceci dans l’équation : le quart des médecins pourraient prendre leur retraite au cours de la prochaine décennie; un phénomène semblable va affecter toutes celles et ceux qui nous soignent. Avec la forme de notre pyramide démographique, il n’existe aucun scénario dans lequel les nouveaux soignants vont couvrir les départs à la retraite, encore moins en ajouter pour répondre aux besoins croissants.

Parce qu’au même moment, bien sûr, le vieillissement général des Québécois va atteindre son apogée, ce qui va faire exploser la demande de soins, partout : pour un médecin de famille, pour passer un examen, voir un spécialiste, se faire opérer, subir des traitements, aller à l’urgence, recevoir des soins à domicile, et ainsi de suite. Le Québec va avoir besoin d’un peu moins d’obstétriciennes et de sages-femmes, mais c’est à peu près tout.

Moins de soignants que présentement, mais encore plus de malades. Ça fait peur.

Pourtant, à travers la façon dont la réforme est pilotée, ce qu’elle cible et ce qu’elle évite, on ne sent pas l’urgence. La première vague de la pandémie du printemps 2020 aurait dû sonner l’alarme, il y a trois ans. On a dû attendre jusqu’au printemps 2022 pour un plan. Le projet de loi est arrivé un an plus tard et il ne produira pas ses effets avant des années. Et c’est loin d’être garanti que ça va fonctionner.

C’est long, des gens attendent en souffrant, d’autres meurent. On n’aime pas l’entendre, mais c’est pourtant vrai, réel, et documenté. La courbe démographique et l’état général de système de santé poussent vers une accélération de cette dynamique morbide.

Et c’est peut-être là le plus grand danger de la réforme Dubé. Que dans quatre ou cinq ans, on se rende compte qu’elle n’a pas produit les effets espérés, et que tout est à reprendre.

Si c’est le cas, on va vraiment être dans le trouble, et 2023 va avoir l’air du bon vieux temps.

(Cet article a été initialement publié sous le titre « Le réel danger de la réforme Dubé ».)

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Catégories :Santé

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12 réponses

  1. Bravo et merci pour cette analyse éclairante.

    Peut-être connaissez-vous l’ouvrage suivant? Intitulé ‘Building State Capability, Evidence, Analysis, Action’, ses auteurs américains sont Matt Andrews, Lant Pritchett et Michael Woolcock. Publié en 2017 par la Oxford University Press.

    Si je le signale c’est qu’il me semble recouper en bonne partie ce que vous écrivez au sujet d’une nécessaire décentralisation (de certaines responsabilités). Les auteurs se montrent très critiques des trop nombreuses réformes « imposées » aux pays en voie de développement (mais pas que ces derniers), réformes qui ne tiennent pas compte des capacités réelles des pays à les mettre en oeuvre. Ils proposent une approche alternative qui invite les « gens sur le terrain » (les équipes) à améliorer leur capacité à résoudre au moins en partie leurs problèmes de fonctionnement. À partir d’un modèle simple…

  2. Bonjour Patrick.
    Merci pour cette excellente analyse-synthèse. C’est un texte immensément riche en information. S’y ajoutent des liens très pertinents. Et vos commentaires finaux agissent comme un véritable uppercut.
    Bravo aussi pour la beauté et l’information apportées par les graphiques qui accompagnent votre topo.
    Je me permets d’ajouter que la qualité de votre prose me procure un plaisir qui me manque souvent quand je lis plusieurs jeunes commentateurs.
    Persistez. Un fidèle public continuera longtemps de vous suivre. Bonne route!

  3. Je vais me permettre quelques commentaires.

    – “L’expansion de la couverture publique des opérations effectuées dans les cliniques privées (les centres médicaux spécialisés, ou CMS) est aussi une excellente chose.”

    Depuis quelques mois, celles-ci participeront activement à faire diminuer les gargantuesques liste d’attente chirurgicales, et seront nul doute présentées comme les sauveteurs du système. Héroïnes. Par contre, faut réaliser que leur proprios, souvent médecins eux-mèmes, piquent dans le bassin de personnel du bloc opératoire public pour meubler le privé. Là aussi, meilleur taux horaires, heures, pas de garde… comment resister à l’appel des sirènes du privé?
    Mais former le personnel au bloc prend une année au minimum… Ce qui laisse la salle d’op publique à court de personnel.

    (Le bloc opératoire, en passant, qui paye moins qu’à l’urgence, aux soins intensifs, en neonatologie, en unité de brûlés… Et au privé, pas de garde. Le complications et cas complexes sont refilés au service public.)

    On prélèvera l’expertise du public pour faire de petits cas au privé. D’accord. Mais qui couvrira les accidentés de la route? Les césariennes? Les cas complexes? Le service public moins bien payé?

    Il n’y a pas juste un virus médiatisé qui était en pleine mutation il y a quelques mois à peine…
    Il y a un système de Santé près de chez vous.
    Tout près. Depuis pré-Dubé.

    – “des quarts en rotation pour tout le monde, sans égard à leur ancienneté, idéalement sous la forme de quarts de douze heures, de jour ou de nuit.”

    Ça, ça fait abstraction de plusieurs choses. Celles qui s’ont attirées par les 12 heures ont déjà gravité en cette direction; c’est un secret de Polichinelle. Mais une forte partie de ces femmes (En Santé, c’est surtout cela, faut pas se le cacher) sont aussi mères, et l’offre de CPE 24 heures/jours est très limitée – à moins de fréquenter les Casinours, là où les employés fu Casino de Mtl casent leur marmaille. L’offre de service de garde post-scolaire sur place passé 18:00 n’existe pas. Et il y a la proportion de mère uniparentales Bref, ce n’est pas une panacée, les 12 heures.

    – sur les radiographies des chiro, qui ne sont pas remboursées par la RAMQ; faites l’exercice. Arrivez chez le chiro avec vos clichés d’imagerie obtenus de l’hôpital. Le chiro vous dira qu’il doit reprendre les clichés, car la technnique est différente. Et vice et versa. C’est 2 approches de traitements, et des tests non complémentaires. Oui, cela peut être efficace, mais il y risque de dédoublement. Et d’exposition additionnelle à la radiation…

    Bref, il y en aura pas de facile.

    – Et c’est peut-être là le plus grand danger de la réforme Dubé. Que dans quatre ou cinq ans, on se rende compte qu’elle n’a pas produit les effets esperes, et que tout est à reprendre.

    Là-dessus, on se rejoint.
    C’est terrifiant.

  4. Excellente analyse.

    Depuis, un certains temps, nos politiques publiques en santé ne sont qu’un recyclage d’anciennes politiques qui ont déjà échoué.

    Ex.1: rebaptiser la clinique de la grippe avec le nouveau nom de clinique d’hiver sous un autre gouvernement.

    Ex.2 Renommer le 811 avec un nouveau nom le GAP. Soit une plateforme de triage infirmier qui redirige au bon professionnel.

    Ex. 3 faire une réforme majeure pour enlever les agence de santé en faveur des CISSS et CIUSSS pour ensuite quelques années plus tard en faire une nouvelle pour créer des agences de santé renommé agences santé québec, qui auront le même mandat que les agences de santé abolie par le passé.

    Ex.4 les permis de pratiques PREM regionaux utilisés actuellement chez les omnipraticiens ayant mené à un manque de retention dans le réseau, on va l’utiliser chez les spécialistes maintenant…

    Je suis aussi d’accord qu’il est inutile d’habiller l’un en deshabillant un autre. Peu importe les incentifs, nos professionnels de la santé n’auront pas un 3e bras. Il faut addresser la pénurie.

    La réalité c’est que plusieurs médecins et infirmières veulent en faire beaucoup plus mais n’ont pas le droit.

    Le tableau que nous avez indiqué avec le nombre de médecin par province/pays omet le nombre de médecin et infirmiere dîplomé à l’étranger qui ne parviennent pas à pratiquer au Québec.

    Le Carms :la plateforme qui gere le processus d’admission en medecine familiale et en specialité au quebec a publié des chiffres intéressant.

    https://www.carms.ca/pdfs/forum-de-carms-2022.pdf

    Si on se fit aux données stats, on se rend bien compte qu’à l’echelle canadienne en 2022 près de 883 médecins dîplomés (diapositive 37) à l’étranger ayant complété leurs prerequis (academique/pratique/linguistique) n’ont pas obtenu de postes en résidence après avoir appliqué en 2022 et c’est au Québec qu’on a la quasi totalité des postes non comblés.

    La question a déjà été étudié par la commission des droits de la personne et de la jeunesse qui avait souligné dans so rapport.
    -un probleme avec le fait que des universités preferent garder des postes vacants plutot que de prendre des gens qualifiés de l’étranger.

    -une sous representation des medecins étrangers, encore significatif de nos jours 9% de medecins etrangers au quebec vs une moyenne de 26% a l’echelle canadienne selon les stats de l’ICIS 2020.

    -un perspective de biais des uniiversités contre les candidats étrangers par rapport à leur performance, alors que selon l’étude fait par la commission, cette suspicion » d’inferiorité » lorsque la commission a vérifié les chiffres n’a pas pu être démontré.

    https://www.cdpdj.qc.ca/storage/app/media/publications/enquete_medecins.pdf

    Si on suivait les recommendations de la commission des droits de la personne et de la jeunesse, dont celle addressé au MSSS et aux facultés de tout faire pour ne pas laissé des postes vacants alors que des candidats qualifiés appliquent pour ces postes. Et dont la recommendation addressé au college des medecins pour s’assurer que chacune des facultés de medecine reconnaissent pleinement l’equivalence de diplome que le college octroi à ces medecins lorsqu’ils ont reussis les epreuves d’equivalences requises. On se ramasserait avec pret de 75 nouveau medecins de plus chaque années.

    Les autres provinces ont une longueur d’avance sur nous. Avec un chemin rapide via l’octroi de permis basé sur des qualifications objectivés avec des epreuves. Au quebec, au lieu d’être basé sur la performance, le critere numero 1 étant qu’ils doivent provenir de la France

    http://www.cmq.org/page/fr/permis-restrictif-arm-quebec-france-evaluation-capacite-exercer-ece-pra.aspx

    On s’exclut ainsi quasi tous les candidats incluant ceux de la francophonie, et des autres pays qui ont aussi reussi les epreuves linguistiques.

  5. Une autre façon de désengorger le système serait de permettre un accès direct du patient à un spécialiste comme ça se fait dans d’àutres pays: si j’ai un sérieux problème de genou ou de hanche, pourquoi dois-je passer par un médecin avant d’avoir accès à un orthopédiste ?

  6. Je suis toujours étonné de constater à quel point l’idéologie prend le dessus sur la logique et le bon sens lorsqu’il est question de la présence du privé en santé, au point d’écrire son opinion en lettres majuscules. Je ne m’intéresserai donc qu’à cette partie de votre texte. Je m’y connais un peu en finances, ayant passé toute ma carrière dans ce domaine. Je suis aussi CPA, tout comme notre ministre de la santé que j’ai également connu dans sa vie antérieure, dans l’entreprise privée.

    Pour illustrer mon propos, je vais utiliser l’exemple du nouveau CMS de St-Jérôme, qui vient d’obtenir son autorisation du ministère après avoir fait pression par le biais des journaux. J’aurais pu utiliser n’importe quel autre exemple. Les propriétaires (et chirurgiens) du CMS seront des chirurgiens qui opèrent déjà à l’hôpital de St-Jérôme, à un jet de pierre du CMS. Ceux-ci ont indiqué, dans les articles de journaux, que leur personnel médical proviendrait des employés de l’hôpital qui ne désirent plus y oeuvré pour toutes sortes de raisons qui leur appartiennent. On l’aurait de toute façon deviné. Ce sera facile d’attirer ce personnel puisque le CMS ne sera en opération que du lundi au vendredi, durant les heures de bureau. Le nouveau CMS offrira donc d’opérer des patients avec les mêmes chirurgiens et le même personnel médical présentement utilisés par l’hôpital. Pour ce faire, il se sera doté de locaux et d’équipements flambant neuf et devrait avoir besoin d’un minimum de personnel administratif (déjà présent à l’hôpital).

    Outre le fait que nos chirurgiens auront nécessairement investi dans cette « aventure » pour en tirer un profit que nous ne chercherons même pas à chiffrer, le CMS devra supporter certains autres coûts. Afin d’assurer un environnement aussi sécuritaire que dans un établissement public, le coût de construction du centre et le coût d’acquisition de l’équipement pour un seul CMS ne saurait évidemment être aussi bas que dans le secteur public qui bénéficie, on l’espère, d’économies d’échelle sur des volumes beaucoup plus importants. Ces investissements seront certainement financés en partie par de la dette. Il n’est pas trop hasardeux de présumer que les conditions d’emprunt de nos chirurgiens-investisseurs ne seront pas aussi favorables que celles de l’État québécois. On pourrait aussi ajouter les coûts opérationnels du CMS, fournitures et j’en passe, pour compléter le portrait. Au bout du compte, l’État versera des honoraires au CMS afin de couvrir tous ces coûts (incluant le profit), tous plus élevés que s’il avait lui-même investi dans « l’aventure ».

    Même si on arrêtait ici, il faudrait avoir l’esprit plutôt tordu pour croire qu’il s’agit là d’une bonne décision. Il faut cependant ajouter un élément non négligeable à notre analyse. Il s’agit du fait, qu’actuellement, l’hôpital n’utilise que 6 de ses 10 salles d’opération, toutes équipées à la fine pointe de la technologie, car elle manque de personnel. Pourquoi donc payer indirectement pour la construction d’un CMS alors que l’on possède déjà l’infrastructure nécessaire qui n’est pas pleinement utilisée? Il y a fort à parier que cette infrastructure sera encore moins utilisée lorsque le CMS ouvrira. Qui plus est, le CMS ne prendra en charge que les patients les moins à risque; les autres devront « patienter » à l’hôpital. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’être CPA pour comprendre que ceci ne fait aucun sens. Pourtant le ministre est CPA!

    Pour ce qui est des indicateurs de « performance » et du tableau de bord mis de l’avant par le ministre, il faut être un peu naïf pour ne pas comprendre à quoi toute cette mascarade peut bien servir. Montrer de tels indicateurs foncièrement défavorables qui ne s’améliorent pratiquement pas, voire se détériorent davantage, ne vise bien sûr qu’à justifier encore plus facilement un virage vers le privé aux yeux des patients et surtout des électeurs. Le privé est ainsi perçu comme le « sauveur » pour ne pas dire le « messie » pour quiconque ne comprend rien à l’aspect financier du virage. Pas nécessaire de chercher bien loin au sein même du gouvernement actuel pour découvrir qui en profite. Par exemple, Investissement Québec vient de mettre 30 millions $ dans MEDFAR, une entreprise privée qui se spécialise en télémédecine. La place du privé en télémédecine est assurée depuis le décret annoncé par le gouvernement en décembre dernier. Le gouvernement investit donc lui-même pour développer le privé en santé. Comme si ce n’était pas suffisant, on apprend également que la ronde de financement précédente de MEDFAR, à hauteur de 25 millions $, avait été menée par Walter Capital, une firme alors dirigée par le ministre Fitzgibbon.

    Le vernis autour du privé en santé craque de partout. Il suffit de s’ouvrir les yeux, de regarder les faits au-delà de toute idéologie.

  7. Excellent commentaire de Mr Huard. Limpide.
    Je me permet d’ajouter quelques détails, car j’oeuvre en Santé.

    Les cliniques chirurgicales privées, c’est un croisement entre la Formule Un et le guichet automatique – pour certaines  spécialistées.

    ‪Toutes chirurgies ne sont pas possibles au privé. Une privée, ça carbure aux petits cas simples chez le patient alerte. La raison d’être est d’être expéditif, pour faire maximum de cas/jour. ‬L’efficacité se retrouve là – plus de petits cas. Plus d’actes médicaux/jour, chez des patients sans problèmes de santé autre que quelque chose qui est corrigeable chirurgicalement.

    Un des attraits du bloc opératoire privé, c’est que l’on y fait pas de weekends. Ou de soirs. Et l’on y fait pas de cas lourds. Et les complications de ces chirurgies, on les envoit…au public.

    Cela fait des années que la CSST envoie les gens souffrant de tunnels carpiens au privé – pour que le patient retourne travailler plutôt, ce qui est fort louable. Sauf que… c’est souvent le même chirurgien, qui est aussi au public. Qui fait passer la filière CSST plus vite.

    Car c’est un «client» régulier, la CSST, qui a droit à des égards… Il n’y a rien de nouveau à avoir un système à 2 vitesses.

    2 vitesses? Avez-vous déjà vu un joueur du Canadien attendre à l’urgence? Ou du Cirque Du Soleil?

    On a vu, avec l’opération vaccination, que vous pouvez ramener les inf. retraitées su bercail 1) si elles choisissent leur heures 2) si tu les traites bien (comme un service essentiel / en pénurie doit l’être.) Une fois cela enlevé, elles quitteront. Ou iront… en agences.

    Oui. Staffer les régions est tjrs un problème; de là la propension à vouloir un poste à temps partiel. Si t’es là 3j/semaine, on peut juste t’imposer de TSO… 3 fois. Tu décides si tu veux un autre shift toi-même, payée +, même endroit…

    Et les temps partiels faisaient souvent l’affaire des CISSS, puisqu’un temps partiel te coûte moins cher en pension/bénéfices. 

    La donne a changée; pénurie. Et le staff Santé est sous-payé. Et les jeunes ne s’inscrivent plus en Santé; 30 ans de TSO ont fait leur oeuvre.

    Et il y a le cas des agences privées, si conspuée par le gouvernement.
    Parfois, t’as besoin de quelqu’un à Maria. Demain. Pour la semaine. Now.
    Les agences répondent à un besoin réel, tangible. Parfois immédiat.

    Le but du jeu étant de servir la population, les agences sont là pour rester. Leur “privatisation” est dans une optique de contrôle de coûts.

    Tant qu’à l’appel aux cliniques chirurgicales privées, l’attrait à toujours existé; le Covid accélèra son implantation. Mais ce n’est pas une panacée. Le poids des tests/évaluations pre- op, ainsi que les complications/urgences, tout cela provient du Public. Les grands cas, au public.

    Le champ libre au privé chirurgical, c’est un appel à tout faire rapidement, pour optimiser coûts/facturation/actes médicaux par jour. Sans ombudsman. Espérons que la qualité ne soit pas occultée par la quantité.

    Et il ne faut pas oublier qu’il y a d’autres besoins que des cas chirurgicaux. Tout ne se remet pas sur pied par une opération.

    • Dans ce cas-ci, ce n’est pas le Québec qui est distinct mais son gouvernement. Comme l’indique l’article du Globe, ce sont des décisions passées des gouvernements qui ont permis, voire favorisé, l’expansion de la pratique privée au Québec. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le gouvernement Legault ne sera pas celui qui va renverser la vapeur. Notre seul espoir d’arrêter cette folie réside de l’autre côté de la rivière des Outaouais mais je n’y crois pas vraiment.

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