Pourquoi Bernard Drainville est-il ministre de l’Éducation?

On dirait que le Québec tout entier découvre que Bernard Drainville a des penchants démagogues, populistes et opportunistes. Et qu’il est plus intéressé par ses propres effets de toge que par les arguments de fond.

Sérieusement, qui est surpris? Avez-vous déjà écouté Drainville à la radio, où il œuvrait encore il y a un an? Trouviez-vous qu’on était dans l’analyse fine et nuancée? L’aviez-vous regardé à RDI, à l’époque? Si oui, l’avez-vous déjà confondu avec Bernard Derome ou Stéphan Bureau?

Quand il est revenu en politique pour la CAQ, avez-vous cru Bernard Drainville, ex-ministre péquiste, quand il a dit que le débat sur la souveraineté était « dépassé » et qu’il n’avait « plus le goût de mener cette bataille-là »? (Il soutenait fermement le contraire seulement huit mois plus tôt.)

L’avez-vous trouvé convaincant quand il a dit qu’il n’avait pas besoin d’études pour engloutir 10 milliards $ dans le fleuve entre Québec et Lévis? Que « t’as juste besoin d’être dans ton char » pour voir que « la maudite attente est de plus en plus longue »?

L’avez-vous trouvé particulièrement rigoureux quand il nous a demandé de le « lâcher avec les GES », comme si les changements climatiques étaient une lubie woke?

Ce Drainville-là, brouillon, volatile, et qui ne se prend manifestement pas pour un Pepsi flatte, est simplement le même Bernard Drainville qui voulait gagner l’argument sur le salaire des profs et des députés, dans une discussion avec Michel David, du Devoir.

Alors qu’est-ce que Bernard a dit, pour que la province au complet soit choquée cette fois?

David a demandé à Drainville comment on pouvait refuser de payer nos enseignantes autant qu’ailleurs au pays, tout en haussant le salaire des députés québécois de 30 %. Les profs québécois sont les moins bien payés au Canada. Les députés québécois, eux, sont déjà les députés provinciaux les mieux payés au pays. Bon pour pitou, bon pour minou, non?

Réponse de Drainville : « tu compares vraiment la job d’enseignant avec la job de député ? ».

(Dit d’une façon qui sonnait plutôt comme : « Tu penses vraiment qu’une simple prof devrait gagner plus cher que moi, espèce de clown? »)

Mais non, Bernard. Seulement, que si un député québécois peut gagner bien plus cher qu’un député d’une autre province, ça serait la moindre des choses qu’une enseignante québécoise gagne aussi cher qu’une enseignante d’une autre province, mettons l’Ontario. C’est tout.

David l’a rappelé. Drainville l’a certainement compris. Mais comme à l’habitude, tout ce qui intéresse notre Bernard national, consciemment ou non, c’est de remporter l’argument.

Même chose pour les GES. Même chose pour l’attente sur les ponts, à Québec. Même chose pour ses convictions souverainistes de toute une vie, lessivées en huit petits mois.

Je suis sévère?

Que disait Bernard Drainville en 2015, sur la hausse de salaire des députés? Que ça n’avait « aucun sens » de voter une augmentation de 30 % alors que le gouvernement proposait d’« appauvrir les infirmières, les enseignantes et les fonctionnaires ».

Autres temps, autre Bernard. Dans l’opposition, tu critiques le gouvernement. Au gouvernement, tu critiques l’opposition.

Tu m’avais dit n’importe quoi

Ce n’est pas que Drainville change d’idée de façon suspicieusement opportuniste. C’est irritant, mais d’autres l’ont fait à propos de l’état des écoles, dont son prédécesseur à l’éducation, Jean-François Roberge, et leur patron, le premier ministre Legault. Et aussi, tous les députés de la CAQ, notamment sur le mode de scrutin et le 3e lien. Et dans d’autres partis, aussi.

C’est plutôt que Bernard Drainville tend à dire n’importe quoi, assez souvent, et qu’il semble très bien vivre avec ça.

Quand, au Saguenay, la pénurie d’enseignants a forcé un directeur de centre de services scolaires à réduire le nombre de classes de maternelles quatre ans, Bernard a blâmé son « manque d’expérience ». Sauf que le directeur en question est dans le milieu scolaire depuis trente ans… Bernard, le ministre, s’est donc excusé.

(Et quand on lui a demandé si, finalement, le directeur n’avait pas pris la meilleure décision, en préservant les classes des plus grands, Bernard a répondu que « c’est une bonne question ».)

Quand Bernard se promène dans des écoles vétustes, il trouve qu’elles ont « bonne mine ». Il contredit ainsi les données de son ministère, un rapport du Vérificateur général, et un autre qui porte sa propre signature en tant que ministre de l’Éducation, déposé juste avant Noël. Sans compter que son gouvernement avait annoncé LA VEILLE des investissements de 14 milliards $ en dix ans pour réparer ou reconstruire des écoles. Au moins, Bernard n’a pas contredit son patron, François Legault. (C’est plus prudent.)

Quand on fait remarquer à Bernard qu’à peu près tous les experts en éducation recommandent de mettre fin aux bulletins chiffrés en raison de leurs effets pervers, et que d’excellents systèmes d’éducation (Finlande) s’en sont débarrassés, Bernard promet que les bulletins chiffrés « sont là pour rester », et qu’« il n’a pas le goût de rouvrir ce débat-là ».

Quand on demande à Bernard ce qu’il pense du fait que les écoles du Québec sont maintenant les plus inéquitables au pays, une conclusion du Conseil supérieur en éducation, il nie le problème, et considère que les études à ce sujet sont biaisées. Mais il plaide ensuite pour des « données probantes ».

En somme, Bernard souhaite des données qui soutiennent les conclusions que lui dicte son intuition.

Peut-on imaginer une façon de raisonner qui soit plus contraire à ce que devrait incarner un ministre de l’Éducation?

Les mauvaises raisons

Pourquoi donc Bernard Drainville est-il ministre de l’Éducation? Si les bonnes raisons semblent inexistantes, regardons les mauvaises.

Parce qu’il communique. Parce qu’il est convaincu. Parce qu’il est connu. Parce qu’il peut toujours trouver une bonne raison de dire une chose un jour et le contraire le lendemain, avec l’air du gars qui le pense vraiment, et qui pense vraiment que toi, t’as rien compris.

En vue des élections de 2018, la Coalition avenir Québec a probablement présenté plus de personnalités médiatiques parmi ses candidats qu’aucun parti politique au Québec jusque-là. En 2022, elle a repoussé les limites. En plus de Bernard Drainville, on pouvait compter sept autres journalistes, animatrices ou commentatrices à la télé : Nathalie Roy, Caroline Proulx, Caroline St-Hilaire, Martine Biron, Kariane Bourassa, Pascale Déry, Louis Lemieux. Sans être eux-mêmes journalistes, Sonia LeBel, Ian Lafrenière et Geneviève Guilbault étaient aussi des habitués des caméras avant d’entrer en politique.

Ça commence à faire beaucoup de communicateurs professionnels. Et, tout aussi compétents qu’ils aient été, on ne voit pas de René Lévesque ou de Claude Ryan dans le lot, qui amènerait le débat politique à un autre niveau.

Lorsqu’on enlève le volet identitaire et nationaliste – qu’il soit social ou économique – il reste l’impression que la CAQ est avant tout un plan de communication savamment orchestré, dirigé depuis le cabinet du premier ministre. En fait, le volet identitaire fait certainement partie du plan.

Mais, comme Bernard Drainville l’a montré, tout plan de communication a ses limites.

Parfois, il faut aussi un peu de contenu.

-30-

Vous avez aimé cet article? Vous pouvez m’aider à en produire d’autres!

Ce média indépendant est entièrement sociofinancé. Vous pouvez contribuer à le soutenir en cliquant ici, et en apprendre davantage sur mon engagement ici.



Catégories :Politique

Tags:, , ,

10 réponses

  1. Merci M. Dery. Vous frapper en plein dans le mille. Vous relever toute l’absurdité d’un Bernard Drainville comme Ministre de l’éducation.

    La liste des non sens commence à être longue. Il était temps qu’on remette cette coquille vide, populiste et opportuniste à sa place. La seule chose “positive” qu’on puisse dire est qu’il est le parfait reflet de son partie.

    Maintenant j’aimerais bien que mes collègues dans les Facultés d’éducation participent au débat public. Bernard Drainville s’enligne pour faire un tord irréparable à l’éducation au Québec.

  2. Vous omettez la meilleure : Drainville qui interview au petit écran de façon très complaisante le chef du Parti Québécois la veille de l’annonce de son passage en politique au sein du Parti Québécois .

  3. Très pertinente analyse. La photo que vous avez choisie pour illustrer votre texte vaut mille mots. L’essence de l’homme dans une simple image.
    Lorsqu’il a adhéré à la CAQ, j’avais dit à des amis que « Bernard Drainville avait presque réussi à démolir le Parti québécois et qu’il ferait de même avec la CAQ». C’est bien parti.

  4. Merci Mr Dery pour ce bel éclairage sur notre ministre de l’Éducation.
    Avez-vous vu l’entrevue que Louise Beaudoin a accordé à Mr Legault qui aime lui aussi enfiler le costume de l’interviewer “communicateur”?

  5. Aux yeux de François Legault, Bernard Drainville est un excellent ministre de l’Éducation, comme l’a été Jan-François Roberge pendant quatre ans. Le pauvre député de Chambly a crié chute après quatre ans n’en pouvant plus de défendre l’indéfendable… commandé par son premier ministre. Pour faveurs obtenues, François Legault l’a récompensé d’avoir été un bouclier sans failles. Legault, probablement le pire ministre de l’Éducation des 50 dernières années avec sa politique d’adaptation scolaire qui sévit depuis plus de 20 ans et qui bourre les classes ordinaires d’élèves en difficulté sans leur donner de services d’adaptation scolaire, sans compter ses patentes à gosses de plan de réussite, convention de gestion et autres bebelles administratives continue d’ajouter des procédures pour faire semblant de faire quelque chose : lecteur de co2 (quand les résultats ne font pas son affaire il les trafique, deux fois plutôt qu’une) au lieu de s’assurer que toutes les fenêtres ouvrent et que les conduites de ventilation soient nettoyées, les tableaux de bords, l’institut d’exellence… mais jamais de services aditionnels parce que ça coûte cher viande à chien !. Maintenant que le fidèle lieutenant Roberge est tombé au combat, le fougeux Colonel Drainville assumera les mêmes fonctions que son prédécesseur. Le coach Legault fait un peu comme Martin St-Louis ferait en fin de match. Il remplace un joueur défensif par son goon car la situation si prête mieux. Bernard Drainville sera aussi fidèle et aussi loyal que JF Roberge. Il servira de paravent pour camoufler les orientations de son chef François Legault. Alors, pourquoi tirer sur le messager plutôt que sur le paravent pour qu’on sache d’où ça vient tout ce gâchis ? L’école publique mérite mieux! Bon texte M. Déry.

  6. Merci pour votre texte. Mon point de vue, c’est que le Premier ministre Legault avait besoin d’un pitbull pour une réforme de l’éducation qui répond à sa vision. Autrement dit, une job de bras, et au diable les consultations.

  7. Texte d’une grande justesse qui démontre pourquoi le personnage Drainville est souvent davantage une insulte à l’intelligence qu’un homme politique socialement pertinent.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *