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Il faut revoir le casting pandémique

Le Québec a besoin d’experts qui ne soient pas trop près du gouvernement, et que ça ne soit pas le gouvernement qui les choisisse.

Les médias sociaux montrent que nous avons été nombreux à utiliser des tests rapides pendant les fêtes pour s’assurer qu’on ne risquait pas de contaminer nos proches.

Compte tenu de la contagiosité du variant Omicron, on s’est probablement évité des milliers de contacts et de cas positifs. C’est une excellente nouvelle.

Le problème est que le gouvernement n’a pas encore compris tout ça. Selon le ministre de la Santé, Christian Dubé, les tests rapides sont inutiles si on n’a pas de symptômes de la covid.

C’est faux, et ça fait des mois qu’on le sait. Selon une métaétude de la librairie Cochrane, les tests rapides détectent 58 % des cas asymptomatiques. C’est moins que ceux qui ont des symptômes (72 %), mais c’est loin d’être négligeable.

L’Ontario, notamment, réserve l’utilisation des tests rapides pour les gens qui se croient à risque d’avoir contracté la covid, mais qui n’ont pas de symptômes. La Nouvelle-Écosse aussi. Les tests rapides sont un filet qu’on tend pour attraper des cas invisibles. Si vous avez des symptômes, c’est un test PCR en bonne et due forme que vous devez passer, afin de ne pas avoir à vous isoler deux semaines pour un rhume.

Les « autotests » sont utilisés depuis le printemps dernier dans plusieurs pays d’Europe, dont l’Angleterre, la France, l’Allemagne et l’Autriche. En Nouvelle-Écosse, on en distribuait dans la rue à la fin de l’été. Cet automne, on pouvait s’en procurer un gratuitement dans les succursales de la Nova Scotia Liquor Corporation, l’équivalent de la SAQ. En Ontario, les tests sont distribués dans les écoles depuis plusieurs semaines.

Au Québec, on a regardé l’Occident au complet les déployer avant de s’assurer de réagir en dernier. Et on a distribué en catastrophe des milliers de tests, juste avant Noël.

Ça commence à être gênant.

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Les experts du gouvernement, qui sont censés le conseiller sur l’état de la science, sont toujours en retard sur la science, plus encore sur le virus.

Il y a aussi une énorme ligne de fracture entre les experts indépendants et ceux qui conseillent le gouvernement.

Les premiers font la promotion des nouvelles idées de façon proactive. Les seconds avancent le pied sur le frein.

Les premiers acceptent que tout ce qui aide, aide. Les seconds angoissent à l’idée qu’on puisse adopter une solution qui ne soit pas parfaite.

On l’a vu pour les masques, pour les tests rapides, pour la troisième dose, pour les masques N95, et pour la ventilation des écoles, qui n’est toujours pas réglée.

C’est simple, le Québec a un problème de casting. Les experts que le gouvernement écoute préfèrent se tromper en ne faisant rien qu’en tentant quelque chose.

C’est probablement la bonne approche quand on fabrique une bombe atomique. Dans une pandémie, c’est mortel.

Sans personnaliser le débat, à ce stade-ci, on doit nommer des personnes. Parce que ce sont des personnes qui occupent les fonctions, et que ces personnes ont une influence déterminante sur les décisions de nos élus.

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Jeudi dernier, le gouvernement tenait un breffage technique sur l’utilisation des tests rapides. La séance était tenue par Dre Marie-France Raynault, conseillère médicale stratégique senior au ministère de la Santé.

Six mois après le déploiement massif des tests rapides dans d’autres pays et provinces, Dre Raynault persiste et signe : les tests rapides doivent être d’abord utilisés par des gens qui présentent des symptômes.

Dre Raynault est dans les patates, scientifiquement parlant. Elle cite une étude qu’elle ne semble pas comprendre.

Ce n’est pas la première fois.

En mai 2020, Dre Raynault disait qu’il n’existait pas de preuves scientifiques de l’efficacité du masque. C’était faux. Il y en avait, à propos des coronavirus, et avant la pandémie.

En juin 2021, un an après qu’on avait déterminé que la covid se propageait principalement par les aérosols, Dre Raynault croyait encore aux vertus des plexiglas.

On ne pourra pas reprocher à Dre Raynault de ne pas être constante…

D’autres experts, sans être à l’emploi du gouvernement, sont néanmoins dans son giron rapproché. Ils partagent certains travers.

C’est le cas de Dre Caroline Quach, pédiatre et microbiologiste-infectiologue très médiatisée depuis le début de la pandémie. Dre Quach a été parmi les premières à demander l’adoption généralisée du port du masque. Par contre, elle a longtemps résisté à l’adoption des tests rapides, qui avaient pourtant montré leur utilité ailleurs dans le monde. Comme si le Québec était sur une autre planète.

Dre Quach, qui siège au comité sur l’immunisation du Québec, a aussi tardé à endosser l’idée de la 3e dose au Québec, pendant que plusieurs experts et professionnels de la santé demandaient qu’on appuie sur l’accélérateur.

Le Québec est aujourd’hui l’avant-dernière province pour le nombre de troisièmes doses administrées en proportion de la population. Seule l’Île-du-Prince-Édouard est derrière nous. Dre Quach n’est pas la seule responsable de cet état de fait, mais elle y a certainement contribué.

La 3e dose aurait pu donner un coup de main contre le variant Omicron, ainsi que pour protéger celles et ceux qui nous soignent.

Un autre expert qui a contribué à retarder le groupe est Gaston De Serres, médecin-épidémiologiste à l’Institut national de santé publique. Fin novembre, quand on lui a demandé si ça pouvait être une bonne idée de devancer la troisième dose puisqu’un nouveau variant s’en venait, Dr De Serres n’en voyait pas l’utilité puisqu’on revérifiait l’efficacité du vaccin… aux deux mois. Pourquoi, en effet, regarder ce qui se passe devant nous si on peut conduire en utilisant le rétroviseur?

Un animateur lui a demandé si justement, deux mois, ça n’était pas un peu long dans une pandémie qui bougeait vite, et si on ne risquait pas de regretter de ne pas avoir agi de façon préventive. Dr De Serres est resté imperturbable.

Dr De Serres ne voyait pas non plus d’utilité à rendre les tests rapides disponibles dans la population. On pourrait rater des cas, alors pourquoi prendre la chance qu’on puisse aussi en trouver et prévenir une partie de la transmission?

Moins d’un mois plus tard, avant que Dr De Serres ait pu réviser ses données, le feu était pris. Le gouvernement lançait l’opération pour la troisième dose afin de tenter de battre de vitesse le variant Omicron. On annonçait aussi en catastrophe la distribution de tests rapides dans les écoles, et quelques jours plus tard dans les pharmacies. Merci, Dr De Serres.

***

Ça fait des mois que ça dure, et c’est toujours la même chose : chaque fois qu’une nouvelle idée fait surface, les experts qui conseillent le gouvernement trouvent toujours une bonne raison de retarder son adoption.

Et on finit toujours par le faire une fois qu’on est dans le pétrin, mais on n’en récolte alors les bénéfices que tardivement, et partiellement, alors qu’on est tout de même pris à ramasser les dégâts.

C’est terriblement réactif.

Le champion de la recommandation pour l’enfonçage épidémiologique de portes ouvertes après le fait reste cependant Dr Horacio Arruda, directeur national de santé publique.

Dr Arruda a résisté pour le port du masque, pour les tests rapides, le passeport vaccinal, le port du masque N95, entre autres. Et la damnée ventilation.

Les gifs animés représentant Dr Arruda en train de se palper le visage et de s’ « autocontaminer » sont devenus viraux. Le « faux sentiment de sécurité » est devenu une justification caricaturale et prévisible pour refuser toute nouvelle mesure qui pourrait nous aider un peu. Pour les masques N95, cruciaux pour ceux qui travaillent dans les hôpitaux, Dr Arruda pense encore qu’un masque chirurgical bien ajusté peut faire un meilleur travail qu’un masque N95 qui ne le serait pas. C’est faux. Tout le monde le sait. Sauf lui.

(Accessoirement, il faudrait que quelqu’un explique à Dr Arruda qu’un masque N95 est un peu plus simple à enfiler qu’une combinaison spatiale…)

En tous les cas, il a fallu que la Commission des normes, de l’équité de la santé et de la sécurité du travail intervienne deux fois pour que les travailleurs de la santé puissent avoir accès à des masques qui les protègent adéquatement contre le virus. Le gouvernement en a 15 millions en réserve. Est-ce qu’on les gardait pour la prochaine pandémie?

Et à ce jour, Dr Arruda ne considère toujours pas que la transmission par aérosols est le mode principal de propagation de la covid, même si ça fait plus d’un an qu’on le sait, même si nos écoles primaires mal ventilées sont devenues le principal lieu de transmission du virus cet automne.

Quand la santé publique est devenue complètement débordée la semaine dernière, tant pour le traçage que le dépistage, Dr Arruda a aussi eu le culot de dire que « c’était prévu » qu’on allait passer en « autogestion » avec les tests rapides.

La réalité, c’est que les tests rapides sont devenus une solution de pis-aller, plutôt qu’une mesure additionnelle de prévention. Et que c’est Dr Arruda qui a retardé leur déploiement pendant des mois!

En somme, à part pour la ventilation des classes – qui n’est toujours pas réglée -, le gouvernement du Québec a fini par faire pratiquement tout ce que Dr Arruda recommandait de ne pas faire. Mais plus tard.

Pourquoi le paie-t-on, déjà?

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La pandémie n’est pas terminée, le variant Omicron nous l’a montré à la dure.

Le gouvernement du Québec n’est pas responsable de l’arrivée d’un variant hypercontagieux, mais il est responsable de nous préparer le mieux possible aux surprises relativement prévisibles que peut nous réserver une pandémie, surtout une fois rendus à la cinquième vague, surtout quand des dizaines d’experts et professionnels de la santé, sur le terrain, le pressent de s’activer depuis des mois.

Ces dernières semaines, en particulier, ça a été un échec retentissant. Ce n’est pas normal qu’on en soit rendus à supplier le gouvernement pour qu’il nous permette d’utiliser les outils que des provinces voisines emploient contre le virus. Mais c’est pourtant ce qui se passe depuis un an.

En fait, mis à part pour la vaccination, qu’aucune juridiction n’a échouée et qui est surtout le fait de chacun d’entre nous, on a souvent été plus chanceux que compétents.

Si personne n’avait vu venir les coups, ç’aurait été une chose.

Mais hors du gouvernement, une tonne d’experts l’ont vu venir. Pour la troisième dose, ça faisait des semaines. Pour les tests rapides, ça faisait un an. Pour la ventilation dans les écoles, c’était depuis la rentrée… 2020.

Les experts qui oeuvrent dans l’orbite gouvernementale ont sans doute bien des qualités personnelles et professionnelles, que personne ne remet en cause.

Manifestement, pour combattre une pandémie, il leur manque quelque chose. Une tolérance raisonnable à l’essai et à l’erreur. Une acceptation des solutions imparfaites. Et, surtout, une capacité à agir de façon décisive sans détenir toutes les certitudes quant au résultat. Parce que dans une pandémie, une fois qu’on a toutes les certitudes, il est trop tard.

Il est plus que temps de revoir notre casting pandémique, de s’arranger pour que les nouveaux experts ne soient pas trop près du gouvernement, et que ça ne soit pas le gouvernement qui les choisisse.

La Commissaire à la santé, la Protectrice du citoyen et la coroner Géhane Kamel (qui enquête sur la gestion de crise dans les CHSLD) se sont montrées à la fois perspicaces et indépendantes dans leur évaluation des divers aspects de la crise. On pourrait leur demander de choisir un comité d’experts qui conseillerait le gouvernement pour la suite des choses et sortir de tout ça la direction de la santé publique, qui n’a jamais montré qu’elle avait les compétences requises.

Oh, et cette fois-ci, allons donc chercher Joanne Liu. Et en s’excusant de lui avoir claqué la porte au nez, il y a vingt mois.

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