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« Ils n’ont jamais cru en nous!
Tu regardes partout et c’est écrit en anglais. Tu mettais le guide de TSN, c’était écrit “Toronto contre Winnipeg”. Tu venais ici pis ça parlait juste en anglais. Ils n’ont jamais cru en nous!
Mais tu sais quoi? Gardez-le votre anglais. Parce qu’on prendre cette coupe-là. Pis on va la ramener à Montréal! On va la ramener au Québec! On va la ramener chez nous! Parce qu’on est f***ing champions! Let’ GOOOOO! »
Ainsi parla Marc-Antoine DeQuoy, des Alouettes, survolté autant par la victoire de son équipe que par le manque de français – et de considération pour les Canadiens français – à la Coupe Grey.
Au Québec, la tirade virale de DeQuoy en a fait instantanément un héros national. Sur la page des Carabins, son ancienne équipe, son programme d’études est devenu « doctorat en entrevues d’après-match », et sa position a été changée pour « futur premier ministre ».

Hors du Québec, certains vont trouver que le joueur des Alouettes en a un peu trop mis.
Évidemment, c’était tout juste après le match, DeQuoy parlait sous le coup de l’émotion et il n’aurait sans doute pas dit la même chose après avoir pris une bonne douche. D’ailleurs, il s’est excusé ensuite.
Marc-Antoine DeQuoy avait pourtant de bonnes raisons d’être contrarié.
D’abord, personne ne croyait aux chances des Alouettes, une équipe de négligés dont la saison avait commencé tout croche – et même failli ne pas avoir lieu. L’équipe de Montréal était donnée perdante par 9,5 points en finale de l’Est, et par 7,5 points avant le match de la coupe Grey.
À la frustration d’avoir été sous-estimés par les preneurs aux livres s’est ajoutée celle d’un environnement où le français était à peu près absent. L’affichage en français était marginal au Tim Hortons Field avant que des correctifs soient apportés la veille du match.
Lors de la demi-finale contre Toronto, l’hymne national n’a été joué qu’en anglais, alors que l’équipe vient du Québec et qu’une dizaine de joueurs de l’équipe y sont nés, en plus du directeur général, du président et du propriétaire du club. (Le président des Alouettes a dû s’assurer qu’on puisse entendre le Ô Canada dans les deux langues officielles en finale.)
Pour ajouter l’insulte à l’injure, la grille horaire de TSN indiquait « Winnipeg contre Toronto »…
Peut-on vraiment blâmer DeQuoy de ne pas s’être senti complètement bienvenu à Hamilton?
Un minimum de courtoisie n’a jamais fait de tort. Quand il était premier ministre, Stephen Harper commençait toutes ses allocutions à l’extérieur du Canada par quelques mots en français.
Une note aux gestionnaires de la CFL/LCF : « Ô Canada » était à l’origine un hymne nationaliste canadien-français, puis traduit en anglais 25 ans plus tard.
Prends ça, Hamilton!
***
On n’a pas entendu beaucoup d’Anglo-Québécois s’indigner de la sortie de DeQuoy. Au contraire, plusieurs l’ont félicité, incluant des figures publiques que l’on associe davantage aux luttes politiques de la communauté anglophone.
Pourquoi? Parce que, de façon générale, et malgré des politiques inutilement vexantes de la part du présent gouvernement, la grande majorité des Anglo-Québécois sont des francophiles. Sinon, ça ferait longtemps qu’ils seraient partis. (Plusieurs l’ont fait après la victoire du Parti Québécois, en 1976.)
Mais dans le Québec d’aujourd’hui, 7 anglophones sur 10 parlent français. Hors du Québec, c’est moins de 1 sur 10.
Ça fait des années que la plupart des Anglo-Québécois préfèrent que leurs enfants soient scolarisés en français. Les écoles anglophones ont dû s’ajuster. Au primaire, plus de 80 % des élèves anglophones sont en immersion française… dans des commissions scolaires anglophones!
On ne parle pas d’immigrants ici, mais de la minorité anglophone historique du Québec, dont les membres ont le droit d’envoyer leurs enfants à l’école en anglais. C’est sans compter les Anglos qui envoient carrément leurs enfants à l’école française.
Parce que le français doit s’apprendre. Tandis que dans un continent de 350 millions d’anglophones, l’anglais vous tombe simplement dessus.
Près de 50 après la loi 101, la majorité des Québécois anglophones ont accepté la nécessité que le français demeure la langue commune. Ça n’est plus marginal, ni même controversé. Il arrive même que des Anglos se plaignent que la loi 101 ne soit pas correctement appliquée.
Cette affection pour ce caractère francophone qui fait du Québec un endroit unique en Amérique du Nord – et qui n’a rien à voir avec la petite politique partisane dont nous sommes témoins au jour le jour –, est aussi transmise à l’intérieur de l’organisation des Alouettes.
C’est reflété par une autre déclaration de Marc-Antoine DeQuoy moins remarquée, mais qui explique probablement son état d’esprit avant, pendant et après la finale. Je traduis librement :
« Je crois que la boucle est bouclée, [de la façon dont] dont l’entraîneur [Jason] Maas a mis l’accent sur les Canadien français, sur l’apprentissage du français, sur l’adoption de la culture francophone.
Et regardez-nous aujourd’hui : au départ, on était dernier dans les classements, personne ne pensait qu’on se réussirait, personne.
Et on a un propriétaire qui est au Québec, un directeur général qui vient du Québec, une équipe pleine de Québécois, et on s’est rendus jusqu’au bout.
Personne ne peut nous enlever ça. Nous sommes les champions. C’est incroyable. Je n’ai rien d’autre à dire. »
Ce ne sont pas que des paroles creuses. Certains joueurs des Alouettes venus de l’extérieur du Québec, et même du pays, ont embrassé la culture québécoise, fondé une famille et adopté notre langue commune.
Le contraste avec les valeurs promues par l’organisation des Alouettes et ce que DeQuoy a vu à Hamilton n’est sans doute pas étranger à son pétage de coche maintenant légendaire.
Mais ne vous attendez pas à ce que les Anglos du Québec aient été choqués d’entendre Marc-Antoine DeQuoy dire au reste du Canada de « garder votre anglais » et « qu’on va prendre cette coupe-là. » Simplement parce que la plupart sont plutôt d’accord. Et probablement heureux du pied de nez amical à nos voisins ontariens.
Comme certains l’ont noté, Marc-Antoine « avait DeQuoy être fier ».
Tu parles.
***
Un mot sur Pierre Karl Péladeau, qui a acheté un club que personne ne voyait nulle part et qui passe maintenant pour un génie. C’est un peu comme s’il avait encore crié « en français, svp! », et que DeQuoy avait forcé le reste du pays à lui donner raison.
Ça n’a pas dû trop lui déplaire.
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Petite coquille ici: “Marc-Antoine DuQuoy avait pourtant de bonnes raisons d’être contrarié.” 🙂
AAAAARGH!
Merci! 🙂