Vous n’avez pas fini d’attendre

Vous attendez pour un médecin de famille? Vous n’avez pas fini d’attendre.

« Avec un gouvernement de la CAQ, tous les Québécois auront un médecin de famille et pourront le consulter, lui ou une infirmière praticienne spécialisée, à l’intérieur d’un délai maximal de 36 heures, d’ici 4 ans », avait promis François Legault pendant la campagne de 2018.

Un an plus tard, Danielle McCann, qui était devenue ministre de la Santé, en avait ajouté une couche:

« Mon objectif est vraiment de vider le “guichet”, les 550 000 Québécois qui n’ont pas de médecin de famille. »

-Danielle McCann, ministre de la Santé, juin 2019

Ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça.

Le nombre de Québécois en attente d’un médecin de famille a continué à augmenter, au rythme d’environ 100 000 par an.

En avril 2018, 420 000 Québécois attendaient qu’un médecin de famille s’occupe d’eux, selon les statistiques de la RAMQ.

En avril 2019, c’était 530 000.

En avril 2020, 625 824.

Et en avril 2021, 743 523.

Évidemment, comme ça date de six mois, les chiffres ont sans doute gonflé. Et vu l’état général de notre système de santé (et du personnel, épuisé par la pandémie), ça serait étonnant que les médecins de famille aient ouvert les vannes pour prendre en charge de nouveaux patients.

Bref, lorsque la mise à jour d’octobre sortira, la barre des 800 000 Québécois inscrits (lire : en train de patienter) sur la liste d’attente du guichet « d’accès » à un médecin de famille patientent pourrait être franchie. Presque un Québécois sur dix.

Jusqu’à deux ans d’attente

C’est tragique. Plusieurs de ces patients ont besoin d’un suivi médical avant-hier. Mais ils devront attendre pendant des mois.

Pour les patients dont la priorité est « urgente », ceux atteints d’un cancer, de problèmes graves de santé mentale ou pour le suivi des femmes enceintes, l’attente varie de deux à six mois selon la région, en moyenne. Six mois, c’est deux trimestres de grossesse…

Pour les cas « pressants » – ceux qui ont été hospitalisés récemment ou qui ont besoin d’un suivi rapide –, l’attente est de cinq à dix mois.

Pour les cas « prioritaires », l’attente est de plus d’un an.

Pour ceux qui restent, les « normaux », qui veulent simplement être suivis par un médecin, l’attente peut dépasser deux ans. C’est bien assez long pour passer de « je me sens en pleine forme » à « vous avez un cancer qui a eu le temps de s’étendre ».

Bien sûr, si la liste continue de s’allonger de 100 000 patients chaque année, l’attente va aller dans le même sens. En plus, la population du Québec vieillit très vite.

Pas assez de nouveaux médecins

En plus – puisqu’en santé, les malheurs arrivent en caisse de douze – le Québec ne forme pas assez de nouveaux médecins.

En tenant compte des retraites, le Québec ajoute environ 150 à 200 nouveaux médecins de famille chaque année. Chaque médecin prend en charge en moyenne de 600 à 700 patients. (Ça varie énormément. Certains médecins ont plus de 1500 patients sous leur aile. D’autres, à peine quelques centaines.)

À tout événement, les jeunes médecins ont tendance à être moins productifs (c’est normal) et donc à prendre moins de patients. Ils ont aussi tendance à faire moins d’heures que leurs prédécesseurs (c’est normal aussi, re : féminisation de la profession et qualité de vie).

Bref, on a beau ajouter des médecins, les besoins augmentent bien plus vite que l’offre de soins.

On ne peut donc pas miser sur les hausses récentes des admissions en médecine, dont l’effet ne se fera pas sentir avant plusieurs années, et qui sont de toute façon insuffisantes.

C’était évidemment extraordinairement malavisé de la part de l’ancien ministre Barrette de croire que le Québec avait 2000 médecins en « trop » et de s’inquiéter davantage d’un hypothétique « chômage médical » que d’offrir à la population un meilleur accès aux soins.

En attendant, on est encore pris avec ça.

S’aider maintenant

Évidemment, on doit augmenter le nombre d’admissions en médecine. En fait, le seul critère devrait être la capacité d’accueil des universités, qui sont bien capables de la déterminer elles-mêmes. La médecine est la seule profession pour laquelle le gouvernement détermine le nombre d’étudiants admis. Le gouvernement devrait s’enlever du chemin.

Mais dans le court terme, ça ne changera rien. On peut faire quoi pour s’aider maintenant?

Au minimum, on doit donner plus de pouvoirs aux infirmières afin de desserrer le goulot d’étranglement vers les médecins, et pas seulement aux praticiennes. Ça urge.

Et faciliter l’accès des médecins étrangers qui cherchent à s’établir ici. Ça urge aussi. Quand c’est rendu qu’on refuse des médecins français comptant plus de 20 ans d’expérience, c’est peut-être qu’on a un problème…

Peut-être revoir la répartition de la charge de nos médecins de famille, qui passent environ 40 % de leur temps à l’hôpital soit deux à trois fois plus qu’ailleurs au Canada ou en Europe, avec les conséquences facilement prévisibles sur leur disponibilité.

Enfin, on a peut-être des questions à se poser quant au niveau de rémunération des médecins et à aligner davantage leurs incitations financières vers les besoins des patients.

Vaste programme, mais on ne peut plus se permettre d’attendre. Parce que ce qu’on fait présentement, ça fait longtemps que ça ne fonctionne plus.

En tout cas, ça ne fonctionne pas pour les patients.

-30-

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Catégories :Santé

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7 réponses

  1. Si la solution passait par la Coop de santé
    Tout au long de l’été, l’équipe éditoriale de La Presse part à la recherche de façons de réinventer la santé.
    Dans le site internet de la FQCS (Fédération québécoise des coopératives de santé) ont peut lire :
    La Fédération québécoise des coopératives de santé représente 44 coopératives de santé réparties dans 14 régions administratives comptant chacune, en moyenne, 2 000 membres à qui elles prodiguent des services de première ligne en santé, autant curatifs que préventifs. Ces services sont offerts par leurs 230 médecins omnipraticiens, leurs 115 infirmières et leurs dizaines de professionnels de la santé qui, ensemble, gèrent 280 000 dossiers médicaux. Elles sont exploitées à des fins non lucratives. https://fqcs.coop/les-cooperatives/membres/
    On ne sait pas combien de ces coopératives sont effectivement financées comme un GMF (Groupe de médecine familiale) mais on comprend rapidement comment elles pourraient en devenir un.
    Tout groupe de médecins qui souhaite adhérer au programme de financement des GMF du MSSS doit obtenir du ministre de la Santé et des Services sociaux l’évaluation de son niveau d’admissibilité, basé sur le nombre et la catégorie de patients inscrits.
    Étant donné que les médecins de famille ayant déjà des patients inscrits ont suffisamment de travail et n’ont pas le temps, de s’investir dans la création d’un GMF, la probabilité que le gouvernement caquiste réalise son objectif d’inscrire 5 840 969 personnes dans un GMF , soit 819 994 personnes de plus qu’en 2019-2020 est donc à peu près nulle.
    De plus, le montant de l’aide accordée à un médecin de famille pour créer un GMF est un maximum de 20 heures à 100 $ l’heure, auquel s’ajoutent des frais de déplacement qui ne peuvent excéder 3 000 $. Or, il faut compter des centaines d’heures de travail et de multiples rencontres avec d’autres professionnels de la santé, ainsi qu’avec les représentants de la DGMF (Direction des groupes de médecine familiale) du CISSS ou du CIUSSS concerné pour mettre en place un GMF, sans compter les heures qui doivent être consacrées au quotidien pour en assurer la gestion par la suite.
    Le modèle GMF-Coop, comme assise valable, est pertinent parce qu’il est basé sur les principes de gouvernance définis dans une loi en vigueur :
    ‘’Une coopérative est une personne morale regroupant des personnes ou sociétés qui ont des besoins économiques, sociaux ou culturels communs et qui, en vue de les satisfaire, s’associent pour exploiter une entreprise conformément aux règles d’action coopérative.’’
    Les coopératives sont des organismes sans but lucratif. L’esprit de la loi canadienne sur la santé est donc tout à fait respecté. Ce ne sont pas des entreprises privées comme aux États-Unis; on ne fait pas d’argent sur le dos des malades.
    Un minimum de cinq personnes (il n’y a pas de maximum) ayant des besoins communs et qui sont susceptibles d’en être les usagers peut demander la constitution d’une coopérative de santé. Comme dans le cas des Caisses Populaires, les administrateurs de la coopérative de santé sont des bénévoles qui établissent les règlements de régie interne, engagent le personnel qui rendent les services professionnels et ceux qui gèrent l’organisme au quotidien n’ont pas besoin d’être des médecins.
    Quand on veut, on peut.
    Claude Gaudet
    126-195 Boulevard Seigneurial Ouest
    Saint-Bruno-de-Montarville, QC
    J3V 2H4
    514-717-5065
    claudegaudet001@gmail.com

  2. Paul Dontigny eéponds:

    Pourquoi enlève-t-on des médecins à Montréal?

    Parce que depuis 5 à 10 ans (et plus), nos gouvernements n’ont pas placez les ressources pour augmenter le nombre de médecins dans nos universités et Cégeps. (infirmières aussi). Cette année ils ont diminué le nombre médecins parce que … oui … on n’a pas les ressources !
    Et de plus, à cause de la guerre entre les syndicats et les gouvernements, nous perdons de nombreux professionnels de la santé qui pourraient offrir des services autant dans le public que dans le privé. Il y a certainement un moyen de le faire. Mais chacun veut sa plus grosse de pointe de tarte.
    Ne vous inquiétez pas chers professionnels de la santé : Il y a de la place en masse dans notre société alors VOUS NE MANQUEREZ PAS DE CLIENTS (patients).
    140 000 opérations en retard avant la pandémie. Maintenant probablement le double.
    Allez voir sur la page facebook de Patrick Déry ce que les gouvernements nous disaient en première page … en première page en 1980 !

    • Ce n’est pas qu’il y a un manque de ressource. L’enveloppe budgetaire pour les médecins de famille est fixe. S’il y a plus de médecins, on divise le même budget sur un plus grand nombre de médecins. La pénurie de médecin n’est pas reconnu par le gouvernement. C’est pour cela que le nombre n’est pas adéquatement ajusté.

      La raison pourquoi il y a des coupures dans la région de Montréal :

      1) les PREMs (permis de pratiquer par région) sont octroyé en fonction d’un calcul de nombre de médecins par habitant. Or, à montréal, un % non négligeable de ces médecins travaillent hors des cliniques (hôpitaux, CHSLD etc…), donc il y en a moins dans les cabinets.

      2) ce même calcule ne tient pas compte de l’âge du médecin. 25% des médecins ont 60-90 ans. Les médecins à Montréal sont plus vieux que la moyenne. Un médecin de 88 ans qui veut continuer à contribuer, va le faire à temps partiel, hors dans les calculs, il compte comme 1 médecin, donc bloque l’octroi de nouveau permis pour les nouveaux médecins à Montréal.

      3. Parmi les autres professionnels qui peuvent aider. On oublie aussi les DHCEU (médecins dîplomé à hors canada et hors états unis). Ils sont 100 chaque année à se faire refuser l’accès aux stages requis pour avoir leur permis de pratique au québec, et ce, même si 75 places dans ces stages ont été laissé vide. Ces candidats ont pourtant complété leurs équivalence et leurs examens de license canadiens et leurs examens linguistiques.

      4. Si toutes les places laissées vides en stages avaient été donné à des DHCEU. 425 en 8 ans. +/- 425 000 patients, on parle de 86.5% du gamf qui aurait été vidé prépandémie (stats de Jan 2019(site de la ramq)), et le problème aurait été réglé avabt la pandémie. Ça prend de la volonté pour changer les choses.

Rétroliens

  1. Lundi 4 octobre 2021 - Revue de presse de l'AMOM - Association des médecins omnipraticiens de Montréal
  2. Monday, October 4th 2021 – AMOM Press Review - Association des médecins omnipraticiens de Montréal
  3. Où doit-on envoyer les nouveaux médecins de famille? – Le blogue de Patrick Déry
  4. Avant de partir en guerre contre les médecins de famille – Le blogue de Patrick Déry

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