Où doit-on envoyer les nouveaux médecins de famille?

Montréal devrait recevoir 102 nouveaux médecins de famille en 2022. Après une intervention du ministre de la Santé, ce ne sera que 72, soit 30 de moins a rapporté Le Devoir cette semaine.

Concrètement, cela signifie qu’environ 8000 à 10 000 Montréalais qui auraient pu avoir un médecin de famille l’an prochain devront y renoncer.

En contrepartie, la Montérégie verra son nombre de nouveaux médecins passer de 67 à 90, soit 23 de plus. Laurentides (+7), Lanaudière (+8) et Laval (+9) gagnent aussi chacun une poignée de médecins pour l’an prochain.

La Côte-Nord perd pour sa part 8 médecins* qui lui étaient destinés, et l’Abitibi et le Bas-Saint-Laurent, chacun deux.

Cette micro-gestion du ministre dans les plans régionaux d’effectifs médicaux est-elle fondée?

L’île de Montréal est plus peuplée que la Montérégie (2,1 millions, contre 1,6 million). Toutes autres choses étant égales, elle devrait recevoir plus de médecins, sur cette seule base.

Comme toutes autres choses sont rarement égales, c’est plus compliqué que ça.

Le ministre de la Santé a voulu justifier son intervention en faisant valoir que le nombre de médecins par habitant est plus élevé à Montréal qu’en Montérégie. Autrement dit, qu’un rattrapage est nécessaire.

M. Dubé a raison pour la statistique brute. Je reproduis le tableau qu’a publié l’attachée de presse du ministre.

Source : ministère de la Santé

Selon les données du ministère, Montréal compte en effet plus de médecins de famille en proportion de sa population. Pour M. Dubé, « les données sont claires », et ses ajustements sont justifiés.

Le chef du Département régional de médecine générale (DRMG) de Montréal, Dr François Loubert, n’est pas d’accord. La Fédération des médecins omnipraticiens, qui représente des médecins partout au Québec (et qui n’est donc pas en conflit d’intérêts ici), non plus.

Le nombre de médecins par habitant n’est qu’une donnée. La possibilité d’avoir un médecin de famille en est une autre. Cette possibilité peut varier selon la disponibilité et la productivité des médecins, les tâches auxquelles les médecins de famille sont affectés, et la patientèle à traiter.

Plus de médecins de famille dans les hôpitaux

Montréal a en outre 21 hôpitaux sur son territoire, soit le cinquième du total pour tout le Québec, incluant deux hôpitaux universitaires (CHUM et CUSM), quelques hôpitaux spécialisés, et les deux hôpitaux pour enfants que compte la province.

Les hôpitaux sont des aimants à médecins. Au Québec, en particulier, les médecins de famille font plus d’heures que dans le reste du pays, près de 40 %, ou deux à trois fois plus qu’ailleurs. Il a beau y avoir plus de médecins à Montréal, ça ne veut pas dire qu’il y en a plus qui sont disponibles en cabinet.

Une clientèle plus lourde à Montréal

Aussi, comme les médecins sont une chose rare au Québec, vaut mieux être riche et en santé que pauvre et malade. Or, c’est ce qui distingue Montréal de la Montérégie, ou Laval, Lanaudière et les Laurentides de la Côte-Nord.

Plus de gens vivent en situation de pauvreté à Montréal et sur la Côte-Nord qu’en Montérégie, Lanaudière, Laurentides ou à Laval. Montréal est aussi la région du Québec où le plus de gens vivent une situation de défavorisation sociale, en proportion de sa population.

Pour un médecin de famille, ça signifie généralement une clientèle plus lourde. On va caricaturer et généraliser un moment. Ça n’est pas difficile de s’imaginer que la clientèle de Saint-Bruno ou de Boucherville va être un peu différente de celle de Montréal-Nord, d’Hochelaga ou de Côte-des-Neiges. Ce ne sont pas des préjugés, mais de la statistique.

Moins de patients inscrits auprès de d’un médecin de famille

Si les médecins sont plus occupés avec leurs patients ou s’ils passent plus de temps à l’hôpital, ils vont avoir tendance à en prendre moins à leur charge.

Ça explique sans doute pourquoi Montréal est l’endroit au Québec où la plus grande partie de la population n’a pas accès à un médecin de famille, comme le montre le graphique en haut de l’article.

Fin 2020, 78 % des habitants de la Montérégie étaient inscrits à un médecin de famille. À Montréal, c’est seulement 69 %.

Le total pour la province est d’un peu plus de 81 %.

Ce n’est pas parfait en Montérégie, ni au Québec en général, mais c’est vachement pire à Montréal.

La Côte-Nord a elle aussi un taux d’inscription à un médecin de famille moins élevé (78 %) que les régions au profit desquelles on lui a retiré ses nouveaux médecins, soit Laval (80 %), Laurentides (81 %) et Lanaudière (84 %).

En somme, le ministre a déshabillé Pierre pour habiller Paul. Sauf que Paul avait déjà plus de vêtements que Pierre en partant.

Sur le plan de l’équité et celui de la santé publique, la réponse ne fait pas de doute. Montréal devrait recevoir tous les nouveaux médecins de famille au moins jusqu’à ce qu’elle ait rattrapé la deuxième pire région au Québec.

Sur le plan politique, la réponse est peut-être différente.

* J’avais initialement écrit que la Côte-Nord perdait 18 nouveaux médecins. C’est plutôt 8 médecins en moins, sur le total de 18 nouveaux médecins qui était prévu pour 2022.

-30-

Vous avez aimé cet article? Vous pouvez m’aider à en produire d’autres!

Ce média indépendant est entièrement sociofinancé. Vous pouvez contribuer à le soutenir en cliquant ici, et en apprendre davantage sur mon engagement ici.



Catégories :Santé

Tags:, ,

3 réponses

Rétroliens

  1. Où doit-on envoyer les nouveaux médecins de famille? (2) – Le blogue de Patrick Déry
  2. Mardi 12 octobre 2021 - Revue de presse de l'AMOM - Association des médecins omnipraticiens de Montréal
  3. Tuesday, October 12th 2021 – AMOM Press Review - Association des médecins omnipraticiens de Montréal

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *