La rémunération des médecins, encore

Les médecins québécois sont-ils trop payés?

La question revient inlassablement chaque fois qu’il est question de leur rémunération et teinte toutes les discussions sur notre système de santé au bord du gouffre (malheureusement, ce n’est pas une exagération).

Aujourd’hui, l’Institut de recherches socio-économiques a publié une note montrant que si la hausse de la rémunération des médecins avait suivi celle des autres professionnels du réseau de la santé, on verserait 88 000 $ de moins chaque année aux spécialistes, et 49 000 $ de moins aux médecins de famille, l’équivalent d’une infirmière clinicienne au sommet de l’échelle salariale et d’une infirmière auxiliaire, respectivement.

Pour chacun des quelque 21 000 médecins que compte le Québec.

En 2019, un médecin de famille québécois gagnait 274 000 $ en 2019, un spécialiste 404 000 $, et un spécialiste chirurgical 478 000 $, en moyenne, selon l’Institut canadien d’information sur la santé.

Sans les « surplus » comptabilités par l’IRIS, les montants auraient été de 225 000 $, 316 000 $ et 390 000 $, respectivement.

Vu autrement, le « surplus de rémunération » pour l’ensemble des médecins du Québec équivaut à une somme de 1,5 milliard $ versé en « trop », chaque année, toujours selon les calculs de l’IRIS.

Ce n’est pas rien. Ce 1,5 milliard $, c’est plus du dixième du budget d’opération de tous les hôpitaux du Québec, qui est d’environ 14 milliards $. L’IRIS fait le postulat que cet argent pourrait être mieux utilisé ailleurs.

C’est clair qu’un milliard et demi, ça reste un milliard et demi, et que ce milliard et demi peut faire une différence dans notre système de santé étiré de tous les côtés.

Ou en éducation, pour l’entretien de nos écoles délabrées ou pour le recrutement de personnel spécialisé. Ou en soins aux ainés, à domicile ou ailleurs. Ou pour offrir davantage de places subventionnées aux milliers de famille qui attendent, pour ne nommer que quelques-uns de nos problèmes croissants. Ou encore, pour creuser des tunnels. Question de priorités.

En tous les cas, les ressources ne sont pas infinies, et ce qu’on met à un endroit, on ne peut pas le mettre ailleurs.

Depuis quarante ans, le Québec a fait un drôle de choix : avoir relativement peu de médecins, mais en les payant très cher, suivant les pas du reste du Canada et des États-Unis.

Le résultat est, qu’aujourd’hui, les médecins québécois (et canadiens) sont parmi les mieux payés de tout le monde riche. Une étude de l’Institut du Québec avait évalué en 2019 que les médecins spécialistes canadiens occupaient le 3e rang dans le monde, et les médecins de famille canadiens au 5e rang.

Cela plaçait les médecins québécois au 4e rang mondial, plus ou moins, autant pour les spécialistes (voir le graphique du haut), que pour les médecins de famille (qui, en équivalent temps plein, sont payés plus que la moyenne canadienne).

(À ceux qui cherchent les États-Unis, leurs données ne sont pas compilées par l’OCDE. Si c’était le cas, ils occuperaient probablement la tête du classement, ou pas loin, tant pour les médecins de famille que pour les spécialistes. Ça laisserait donc les médecins québécois autour du 5e rang, et les les médecins canadiens au 4e ou 6e, selon la catégorie.)

L’Institut du Québec avait alors recommandé un gel de la rémunération des médecins.

(Comme la comparaison est un exercice assez complexe, j’ai simplement repris aux fins de billet les données de l’Institut du Québec, qui étaient les plus récentes il y a deux ans. Le portrait global n’aura pas pu bouger beaucoup.)

Évidemment, ces comparaisons ont leur limite, et certains pays sont absents. Mais ça indique sans aucun doute que nos médecins sont bien plus près de la tête que de la queue.

L’argument d’un exode massif des médecins vers le reste du Canada ou les États-Unis a souvent été évoqué pour justifier ces salaires élevés, mais jamais démontré. En Ontario, où les barrières linguistiques et culturelles ne jouent pas comme au Québec, la baisse des salaires décrétée par le gouvernement ontarien avait été suivie… d’une hausse du nombre de médecins arrivant des autres provinces!*

Fait notable, le Québec est peut-être le seul endroit au monde où des centaines médecins ont signé une pétition pour dénoncer la hausse de leurs salaires!

Le Québec – comme le Canada – a aussi relativement peu de médecins lorsqu’on compare aux autres pays développés.

En proportion de sa population, la France a 10% de médecins de plus que le Québec. L’Australie, l’Italie et l’Espagne, 30 % de plus. Le Danemark, la Suède, la Suisse et l’Allemagne, 40 % de plus. L’Autriche, elle, a presque deux fois plus de médecins que nous.

Le nombre de médecins ne fait pas foi de tout, et on pourrait certainement permettre aux infirmières d’en faire plus afin de libérer un peu les médecins, mais on peut facilement concevoir que le nombre de Québécois attendant pour un médecin de famille n’augmenterait pas d’environ 100 000 chaque année si on avait deux fois plus de médecins…

Le mode de rémunération des médecins est aussi une partie du problème. L’immense majorité du paiement des médecins se fait en fonction du nombre d’actes facturés. Au Québec, la facturation à l’acte représente environ 80 % de la rémunération des médecins. Ailleurs au pays, c’est un peu moins, mais ça reste très élevé, à plus de 70 %, selon les données de l’Institut canadien d’information sur la santé.

La rémunération à l’acte a des avantages, le principal étant d’inciter à multiplier les actes médicaux.

Elle a aussi des inconvénients. Par exemple, elle peut inciter (consciemment ou non) aux actes plus payants, qui rapportent le plus en fonction du temps consacré, plutôt qu’aux actes qui sont nécessaires.

Si la rémunération est très élevée, l’effet de retour de la rémunération à l’acte peut être diminué. En plus clair : si on peut faire 300 000 $ en quatre jours, c’est possible qu’on soit moins motivé à l’idée de travailler une cinquième journée. À ce moment, une rémunération à l’acte très élevée peut devenir une désincitation au travail.

Ça peut expliquer en partie pourquoi le nombre de jours travaillés par les médecins a diminué depuis une quinzaine d’années, ainsi que le nombre de patients vus pour chaque journée de travail.

La féminisation de la profession de médecin et la recherche d’une qualité de vie contribue certainement au phénomène, et c’est certainement une bonne nouvelle.

Mais ça ne change rien pour les patients qui attendent. Ni au fait que nos médecins sont parmi les mieux payés au monde, sans que cela n’entraîne de meilleurs résultats pour les patients.

Note : j’ai modifié la version originale de cet article en ajoutant des graphiques incluant le Québec, pour plus de clarté.

* Entre 2013 et 2017, le solde net de migration de l’Ontario envers les autres provinces s’élevait à 129, selon l’étude de l’Institut du Québec de 2019.

-30-

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Catégories :Santé

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8 réponses

  1. 300K en 4 jours? Autrement dit, 75k$ par jour de travail hebdomadaire.
    Le premier 75K donne 55.7K net.
    Le second donne 40K.
    Le troisième donne 37K.
    Le quatrième donne 35K.
    À partir de là, on est à 50-52% d’imposition. Donc on arrête de travailler.

    Évidemment pour les médecins c’est un peu différent, vu l’aberration que représente leur incorporation. Donc ils peuvent retarder leur imposition… Peuvent-ils encore la séparer parmi les membres de leur famille? Je n’ai pas suivi le dossier.

    C’est abominable, car les autres travailleurs autonomes ne peuvent plus faire ça. Finalement, les médecins échouent le test de travailleur vs travailleur indépendant du fisc. (https://www.canada.ca/fr/agence-revenu/services/formulaires-publications/publications/rc4110/employe-travailleur-independant.html#qc_statut_emploi_travailleur)
    Lorsque j’étais travailleur autonome, je passais le test bien mieux que les médecins. Et pourtant…

    (cité du lien partagé ci-haut)

    Le droit du payeur d’exercer un contrôle
    Ce qui est important est le droit du payeur d’exercer un contrôle, et non pas le fait de savoir si le payeur exerce réellement ce droit.

    Ce qui est important est le contrôle du payeur sur le travailleur et non le contrôle qu’exerce un payeur sur le résultat final d’un produit ou d’un service qu’il a acheté.

    Indicateurs démontrant que le travailleur est un employé:

    Le payeur dirige et contrôle de nombreux éléments liés à l’exécution du travail (quoi, qui, où, quand et comment).
    Le payeur contrôle les absences du travailleur comme les congés de maladie ou les vacances.
    Le payeur exerce un contrôle sur le travailleur à la fois en ce qui concerne les résultats du travail et la méthode utilisée pour faire le travail.
    Le payeur impose un horaire de travail et établit des règles de conduite qui s’appliquent au travailleur.
    Le payeur peut imposer des sanctions disciplinaires au travailleur.
    Le travailleur doit effectuer le travail personnellement.
    Le travailleur doit remettre des rapports d’activités au payeur.
    Le travailleur réserve ses activités à un seul payeur (le payeur a l’exclusivité des services du travailleur).
    Le travailleur reçoit de la formation ou des directives du payeur sur la façon dont il doit accomplir le travail.
    Le travailleur accepte de faire partie de l’entreprise du payeur pour que ce dernier puisse bénéficier de son travail.
    Les parties ont inséré une clause de non-concurrence dans leur contrat écrit.

    Indicateurs démontrant que le travailleur est un travailleur indépendant:

    Le travailleur est habituellement libre de travailler au moment où il le désire et pour qui il le désire et il peut offrir ses services à différents payeurs en même temps.
    Le travailleur n’a pas à rendre les services lui-même. Il peut engager une tierce personne, soit pour effectuer le travail, soit pour l’aider à effectuer le travail.
    Le travailleur peut généralement choisir le moment et la façon dont il exécutera les travaux.
    Le travailleur n’a pas à se présenter au lieu de travail du payeur.
    Le travailleur a le choix d’accepter ou de refuser le travail offert par le payeur.
    La relation de travail entre le payeur et le travailleur ne présente aucun degré de continuité, de loyauté, de sécurité, de subordination ou d’intégration; ces composantes font habituellement partie d’une relation employeur-employé.

  2. L’enveloppe budgétaire des médecins étant fixe. L’addition de nouveau médecin ne coûterait rien. Le montant sera réparti sur un plus grand nombre. Oui il serait possible de prendre plus de médecins étrangers et augmenter plus rapidement ce nombre.

    L’enveloppe étant fixe, ça veut dire même coût à l’acte versus via capitation.

    Le manuel de facturation est complexe déjà à l’acte.

    https://www.ramq.gouv.qc.ca/SiteCollectionDocuments/professionnels/manuels/syra/medecins-omnipraticiens/104-brochure-1-omnipraticiens/Omnipraticiens_Brochure_no1.html

    https://www.ramq.gouv.qc.ca/SiteCollectionDocuments/professionnels/manuels/syra/medecins-omnipraticiens/100-facturation-omnipraticiens/manuel-omnipraticiens-remuneration-acte-RFP.pdf

    On parle déjà de plus de 1500 pages… créer un modèle de capitation voudrait dire avoir un manuel de facturation à l’acte avec des majorations qui complexifie le manuel de facturation.. On pourrait se retrouver avec un manuel de 2000 pages sans doute. Ça ne se fait pas facilement en peu de temps.

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