Des gens meurent dans nos urgences. Qui est supris?

« Vous êtes pas tannés de mourir, bande de caves! C’est assez! »

Le cri du cœur du poète Claude Péloquin a été inscrit sur une murale au Grand Théâtre de Québec il y a 52 ans, immortalisé par le sculpteur Jordi Bonnet.

On aurait peut-être dû l’écrire sur les murs des salles d’urgence.

Cette semaine, deux Québécois sont morts à l’urgence, faute d’avoir été soignés à temps. C’était présenté cette semaine comme une grosse nouvelle.

Quelqu’un est vraiment surpris?

(An English version of this post is available here.)

Ce n’est pas la première fois. Plus tôt cette année, une dame de 86 ans est morte sur une civière après avoir été oubliée dans un corridor pendant deux jours.

En octobre 2022, un homme est mort suite à une rupture de l’aorte. Ça faisait dix minutes qu’il était hôpital. Mais avant ça, il avait eu le temps d’attendre 16 heures à l’urgence sans voir un médecin, puis de retourner chez lui, puis de revenir parce qu’il se sentait trop mal.

En février 2022, un autre est mort dans le garage des ambulances.

Il est presque certain que ces anecdotes désolantes se produisent bien plus souvent que les cas qui se rendent aux médias. Parfois, ça prend une enquête du coroner pour qu’on en entende parler.

C’est sans compter ceux qui meurent avant de se rendre à l’hôpital, en attente d’une chirurgie, et dont les histoires font aussi la manchette de temps en temps.

Parfois, on en entend parler parce qu’ils sont connus du public.

Parfois, c’est parce que leur histoire est tellement pathétique et kafkaïenne qu’elle défie l’entendement. Comme ce monsieur qu’il fallait absolument opérer à l’intérieur de trois mois, étant donné la gravité de son état, et qui a attendu neuf mois qu’on l’appelle. Malheureusement, quand le téléphone a sonné, il était mort depuis trois mois.

Il y a quelques années, le Commissaire au bien-être et à la santé, un chien de garde gouvernemental, avait noté que les urgences du Québec étaient les pires de tout l’Occident en ce qui a trait à l’attente.

Bien avant ça, une manchette de La Presse citait une promesse gouvernementale de mettre fin aux séjours de plus de 48 heures dans les urgences. C’était en 1980.

Les maux qui affligent les urgences du Québec ne datent pas d’hier. Mais présentement, c’est pire que critique. Notre système de santé est au bord de l’effondrement. Ce n’est plus une métaphore mais un simple constat : nos hôpitaux tiennent le coup avec de la broche et beaucoup de bonne volonté du personnel soignant, mais pour combien de temps?

La covid a simplement amplifié des problèmes chroniques. Le personnel est épuisé, même écœuré : 5000 infirmières ont quitté depuis deux ans. Et la population continue de vieillir. La tempête est parfaite, mais elle n’est pas à veille de passer.

Pour avoir une idée d’à quel point le système de santé québécois va mal, on peut comparer avec l’Ontario. Dans la province voisine, les manchettes se succèdent sur l’état de crise dans les hôpitaux en raison du manque de personnel. Le Vérificateur général de l’Ontario vient aussi de sonner l’alarme.

Les patients ontariens doivent attendre deux heures à l’urgence, en moyenne, avant d’être vus par un médecin. C’est long quand ça fait mal. Qu’ils se consolent. Au Québec, la moyenne est de trois heures, et souvent bien plus.

(En 2018, la CAQ s’était fait élire en promettant notamment que chaque patient serait pris en charge par un médecin à l’intérieur de 90 minutes, mais sans expliquer comment elle y arriverait. LOL. La cible a été reportée à 2027.)

Pour les patients sur civière, l’attente avant d’obtenir un lit dans une chambre est d’environ 13 heures en Ontario. Passer une demi-journée dans un corridor avec le bruit, les gens qui passent et la lumière n’est évidemment pas idéal.

Mais au Québec, l’attente moyenne sur une civière est de 19 heures. Pour le tiers des patients, ça dépasse même 24 heures. Les séjours de deux, trois jours sur une civière dans le corridor sont fréquents, même pour des patients de 92 ans.

Les patients québécois qui attendent sur leur civière peuvent aussi passer de 15 à 20 heures sans nourriture ou médicaments. Parfois, il n’y a même plus de civière. Le patient se couche par terre. Parfois, aussi, des gens meurent sur le plancher.

Mais revenons à la donnée de base, l’attente.

Pour un patient, attendre à l’urgence n’est pas qu’inconvenant. Sa condition peut s’aggraver et ses chances de survie peuvent être affectées.

L’équation est assez simple : plus un patient passe de temps à l’urgence avant d’être admis aux étages, plus ses chances de mourir augmentent. Ce n’est pas nouveau et ça fait longtemps qu’on le sait. (Honnêtement, on n’avait pas besoin d’études pour le savoir, même si c’est pertinent – et un peu morbide – de le mesurer.)

Cinq ou six heures d’attente suffisent à affecter les chances de survie. Pour les personnes âgées de 75 ans et plus, l’attente est beaucoup plus risquée : une étude française récente a montré que s’ils doivent passer la nuit à l’urgence – contrairement à ceux ayant eu accès à une chambre avant minuit – le taux de mortalité passe de 11 % à presque 16 %. C’est 40 % de plus.

Pour l’exprimer crûment, cela signifie que pour chaque groupe de 22 patients âgés de 75 ans et plus qui passe la nuit sur une civière, on ajoute un mort.

Environ 350 000 Québécois de 75 ans et plus se retrouvent sur une civière dans une urgence, chaque année. Juste en tenant compte des moyennes, et sans pondérer en fonction de l’âge (et, donc, de la gravité de l’état), cela fait plus de 100 000 aînés passent au moins une nuit à l’hôpital, chaque année.

Je vous laisse faire le calcul.

C’est sans compter ceux qui verront leurs capacités réduites de façon permanente suite aux journées passées sur une civière, puis dans un lit.

Ce n’est que le début. Le nombre de personnes âgées de 75 ans et plus va augmenter de plus de 30 % d’ici la fin de la fin de la décennie.

Pendant la même période, un tas de médecins vont prendre leur retraite parce que, comme nous, ils vieillissent. Le tiers des médecins québécois ont plus de 55 ans.

Message au reste du Canada : n’ayez crainte, ça s’en vient chez vous aussi.

Le Québec est simplement en avance.

-30-

Votre appui fait toute la différence!

Ce média indépendant est entièrement sociofinancé. Vous pouvez me soutenir en cliquant ici.



Catégories :Santé

Tags:,

3 réponses

  1. On est bon dernier selon les critères que vous avez souligné. On est aussi malheureusement bon dernier avec notre absence de plan pour régler la solution.

    Le tier des medecins ont plus de 55 ans comme vous le dites. Ça veut dire que dans 10 ans, ils auront tous plus de 65 ans, et on perdra un tier de tous les médecins.

    ça prend 9 à 14 ans post secondaires former un nouveau médecin. Toute les mesures maintenant pour augmenter le nombre d’admission en médecine arrivera après qu’on ait perdu le tier des medecins. On a déjà manqué le bateau .

    Pendant ce temps là, on était la seule province avec des postes en médecine familiale sont dépourvus. 65 postes laissés vacants, alors que la candidature de 880 médecins étrangers ayant rempli les prerequis pour la medecine familiale ont été rejeté juste l’an dernier selon les données du CARMs.

    Toutes les autres provinces ont trouvé des moyens de les intégrer. Au québec, les medecins étrangers continuent de travailler comme téléphoniste, comme chauffeur d’uber….

    Pendant ce temps, la proportion des infirmières qui travaillent dans le privé est passé à 9.1% et celui des médecins a monté à 4%.

    Il est franchement temps d’investir en santé et arrêter de tapper sur nos professionnels. Réduire le salaire des infirmières promouvoit le privé. Réduire celui des médecins va affecter le salaire des infirmières qui sont payé des médecins et mener encore à plus de privé.

  2. Il n’y a aucun doute qu’un sérieux coup de barre est nécessaire en Santé.

    Mais créer une structure chez qui on « décapitera » les gestionnaires locaux pas assez performants, tel que jugés par des outsiders qui n’ont aucune expérience en Santé, ne me frappe pas comme l’idée du siècle.

    Gérer la Santé par des gens formés à la « just in time », comme de la marchandise – cela attirera des « Top Guns »?
    Vraiment?

    Voir le bassin de personnel comme une gigantesque « équipe volante », que l’on enverra au gré des pires pénuries locales?
    Vraiment?

    Offrir des conditions de travail parmi les pires au Canada aidera à recruter?
    Vraiment?

    Croyez-vous que les jeunes médecins spécialistes, ces pilotes de Formule Un médicale fraîchement émoulus de leur fellowship, seront enclins à demeurer au Québec si ont ne leur fournit pas la machine à la hauteur de leur talent?

    Pour reprendre la malédiction chinoise, « puissiez-vous vivre en des temps intéressants »…

Rétroliens

  1. Quelles sont les urgences de Montréal où les patients meurent le plus? – Le blogue de Patrick Déry

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *