L’arrivée de Pascal Paradis change la donne politique au Québec

Le nouveau député du Parti Québécois n’est pas un député ordinaire.

Avant d’expliquer pourquoi, et ce que ça change pour le PQ et les autres partis, transparence totale : j’ai côtoyé et assez bien connu Pascal Paradis pendant mes études en droit à l’Université Laval.

Ça inclut moult partys aux souvenirs plus ou moins clairs, les Law Games, une défaite crève-cœur lors d’un tournoi de ballon-balai en Nouvelle-Écosse, et d’autres. On a toujours des amis communs, et je l’ai revu pour une bière il y a quelques années.

Ça m’a fait hésiter à publier ce texte, sur lequel je suis resté assis pendant quelques semaines avant de me décider. Ai-je la distance critique?

N’empêche, sans être un ami intime, j’ai eu l’occasion à plusieurs reprises de prendre la mesure de son caractère.

Je n’ai donc pas été surpris de l’aplomb avec lequel il s’est comporté dès l’annonce de sa candidature dans Jean-Talon, cet été; puis pendant la campagne qui a suivi; et depuis sa victoire. Impressionné, bien sûr, mais pas surpris.

Ceux qui connaissent Pascal Paradis depuis longtemps savent qu’il est un orateur hors pair. Ils savent aussi la force de ses convictions. 

C’est un indépendantiste convaincu depuis toujours, un sociodémocrate convaincu aussi, on pourrait même dire un péquiste convaincu. Le bref flirt avec la CAQ n’y change rien. (Et il a fini par dire non, d’ailleurs.)

On savait aussi son engagement envers l’organisation non gouvernementale Avocats sans frontières. C’est un peu abstrait pour le commun des mortels, mais c’est significatif. Il faut aimer les causes difficiles – voire désespérées – pour passer le plus gros de sa vie professionnelle à combattre les injustices dans des pays où l’état de droit vient en option.

La plupart des amis de Pascal (et les miens) qui ont étudié le droit il y a trente ans sont au sommet de leur carrière, dans des jobs souvent très lucratives. « P » a certainement le talent pour aspirer à ça lui aussi. Et après avoir consacré sa carrière à des causes humanitaires, il aurait pu décider de le faire.

Mais non. Il a (encore) plutôt préféré se donner le trouble de joindre une autre cause plus ou moins désespérée : se présenter dans une ancienne forteresse libérale que la CAQ avait remportée avec une majorité de 3000 voix l’an dernier et dans laquelle le PQ avait fini troisième, dans l’espoir obtenir une chance d’aider à reconstruire un parti qui a frôlé l’extinction parlementaire.

Il fallait avoir la foi envers la cause, mais aussi en ses moyens.

C’est facile aujourd’hui d’oublier à quel point il s’en est fallu de peu pour que, lors des élections de l’automne 2022, l’autre Pascal (Bérubé) se retrouve en caucus avec lui-même jusqu’en 2026.

***

Pascal Paradis a été élu dans Jean-Talon avec 44 % du vote et une avance de 6000 voix.

Il n’a pas seulement donné un précieux siège de plus au PQ, il a pratiquement gagné la partielle à lui seul.

Il a battu un contingent de ministres. Il a eu le dessus sur François Legault dans leur passe d’armes sur le troisième lien. Pascal Paradis était un inconnu, mais c’est lui qu’on a cru. Le début de la fin de la crédibilité du premier ministre a commencé pendant la campagne pour Jean-Talon.

Pascal a aussi mobilisé plus de 700 bénévoles pour une partielle. Imaginez si le PQ peut reproduire ça dans une centaine de circonscriptions aux prochaines élections…

Qu’est-ce qui s’est passé?

Regardez-le prononcer son discours d’assermentation. Pascal – désolé, je ne pourrai jamais l’appeler « monsieur » ou encore moins « Paradis » – n’a pas l’air d’un quatrième député dans le quatrième parti d’opposition. Il a le ton et l’éloquence d’un futur premier ministre.

Écoutez son intervention pour expliquer pourquoi il ne peut pas appuyer la motion de la CAQ à sens unique sur Israël. C’est tout en nuances, sans une once de partisanerie ou de quolibets faciles. Essayez aussi de ne pas être d’accord avec lui sur le fond, après l’avoir entendu.

Élever le débat, c’est ça.

***

Un député de plus n’est jamais à dédaigner, même pour un parti qui en compte une vingtaine.

Quand tu pars de trois députés, le quatrième représente un ajout de 33 % de jus de bras et de cerveau pour talonner le gouvernement, faire des points de presse, donner des entrevues, et pousser les messages sur les médias sociaux. Au lieu d’avoir chacun une dizaine de ministères à surveiller et critiquer, les quatre mousquetaires péquistes ne vont en avoir que sept ou huit. Encore trop, mais c’est moins inhumain.

Mais c’est plus que ça.

Le PQ avait déjà trois députés particulièrement solides et efficaces, menés par un chef qui a réussi son pari d’adopter un autre ton et d’en appeler à l’intelligence des électeurs en prenant de front les débats de fond. La montée constante du PQ dans les sondages depuis un an et demi en témoigne.

Ça allait donc plutôt bien avant l’arrivée de Pascal Paradis, et l’ajout d’un joueur de premier trio. J’oserais même dire que sur le plan de l’éloquence, aucun député gouvernemental n’arrive au niveau de la nouvelle recrue, incluant le premier ministre.

Même en regard des partis d’opposition, la qualité – à tout le moins la capacité d’avoir de l’impact – des députés péquistes détonne. Avec la victoire de Pascal Paradis, la force de frappe que le PQ avait déjà réussi à créer va être amplifiée.

En somme, malgré un nombre d’interventions limitées au Salon bleu, le caucus du PQ a présentement l’air d’une équipe d’étoiles, et il vient de prendre une sérieuse option sur le titre de premier parti d’opposition.

Le succès attirant le succès, le recrutement va sans doute être pas mal plus facile pour la prochaine partielle ou même pour les générales, en quantité et qualité. 

« Tiens, voilà un candidat intelligent et honnête, qui tente sa chance avec la politique en restant fidèle à ses principes et valeurs, et ça lui sourit. Pourquoi pas moi? »

***

Coudonc, Déry, es-tu en train de virer péquiste?

Non.

D’un, je n’ai jamais été très partisan. Aucun parti n’a jamais raison ni tort sur tout.

De deux, j’ai des réserves très spécifiques et publiquement documentées sur les positions du Parti Québécois, notamment en ce qui a trait à la promotion du français, sa conception de laïcité de l’État, de l’immigration, et sur la question nationale. De mon point de vue, ça a moins à voir avec la partisanerie qu’avec les meilleures politiques publiques à mettre de l’avant pour nous tous.

Par contre, je crois qu’une démocratie fonctionne mieux avec des parlementaires compétents, deux mots qu’on n’a pas tendance à mettre ensemble souvent, parce que trop de politiciens viennent en politique en touristes. La plupart sont bien intentionnés, mais il ne savent pas trop pourquoi ils sont là. Ça aurait pu être un parti ou un autre. Drôle de hasard, c’est souvent le parti au pouvoir.

Pascal Paradis, lui, n’est pas venu en touriste. Il sait très bien pourquoi il est là.

L’arrivée de PP (ou P2 ?) va rappeler une chose qu’on était en train d’oublier dans ces années grises et cyniques, entre les menteries du premier ministre, les pitreries du chef intérimaire de l’opposition officielle, les ballounes et les autres railleries désolantes. À savoir qu’un élu studieux, éloquent, inspirant et qui appelle au meilleur de nous-mêmes peut avoir une influence sur le débat public.

Ça va obliger les autres partis à être meilleurs, à commencer par celui qui nous gouverne. La game vient de changer.

Pendant que la CAQ vacille, que le PLQ s’enfonce et que QS plafonne, le PQ poursuit son ascension, confirmée par un sondage récent.

Contre toute attente il y a encore quelques mois, on assiste peut-être à un début de reconfiguration politique au Québec.

Mais ce qui serait encore mieux serait qu’on assiste au début d’une nouvelle façon de faire de la politique, dans chacun des partis. Parce que pour espérer battre les meilleurs, encore faut-il jouer au même niveau.

***

Une dernière leçon, pour tous les partis, et qui illustre en particulier le contraste entre le PQ et la CAQ.

Le Parti Québécois reste encore loin du pouvoir. Ces dernières années, on y est allé ou resté par conviction.

À la CAQ, l’attrait du pouvoir et d’une limousine a fait prendre le bord aux convictions de quelques candidats élus l’an dernier, et fait avaler des couleuvres partisanes à d’autres, semaine après semaine. La (lointaine) peur de perdre le pouvoir fait aussi dire n’importe quoi au premier ministre ces jours-ci.

En face de députés convaincus, convaincants et cohérents, ça finit par mal paraître.

Le wake-up call que ça implique vaut autant pour les caquistes que pour tous les autres.

-30-

Votre appui fait toute la différence!

Ce média indépendant est entièrement sociofinancé. Vous pouvez me soutenir en cliquant ici.



Catégories :Démocratie, Politique

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *