
Ça fait quelques années que le Parti libéral du Québec a l’air un peu perdu, et que l’opposition officielle a trop souvent l’air du quatrième parti à l’Assemblée nationale. C’est un réel problème, peu importe nos allégeances politiques.
J’ai travaillé pour le cabinet du PLQ pendant quelques mois, début 2021, sans jamais avoir été membre ou militant du parti.
Il y avait une volonté de changement chez la cheffe et certains élus, ce qui était attirant. J’ai vite compris qu’il y avait encore plus de résistance au sein du personnel politique : conseillers, stratèges, recherchistes et autres employés, très attachés aux façons de faire depuis toujours. Peu importe le message que la population et les sondages envoyaient, on aimait son Parti libéral comme il était. C’est utile à savoir pour comprendre ce qui a suivi.
J’ai fini par faire valoir à quelques reprises et de façon très appuyée ce qui me semblait une évidence : le PLQ devait embrasser rapidement une transformation radicale, sans quoi il courtisait une catastrophe électorale encore pire que celle de 2018.
Ça impliquait d’abord une rupture avec un passé récent qui avait laissé de mauvais souvenirs. Ensuite, l’affirmation d’une nouvelle vision originale, inspirante et assumée, qu’on pourrait qualifier de progressiste au premier sens du terme : qui aspire au progrès. Enfin, des gestes forts sur ces deux fronts, afin de frapper l’imagination, susciter de l’intérêt et être à nouveau considéré comme une option politique viable par une majorité de Québécois.
En somme, de l’humilité et de l’audace, en vue de rétablir la confiance perdue.
L’indifférence à ce genre d’appel – que je n’ai pas été seul à formuler – donne une mesure de l’aveuglement volontaire qui prévalait et qui a mené au désastre que l’on connait.
Début 2021, une bonne partie de l’aile parlementaire du PLQ se voyait toujours comme un gouvernement en attente. Il suffisait de tenter de faire mal paraître la CAQ à coups de slogans creux et de mots-clés, tout en se commettant le moins possible sur le fond des choses. Puis, le pouvoir tomberait pratiquement du ciel vingt mois plus tard. Simple comme ça.
Lorsque des enjeux occupaient l’actualité (troisième lien, loi 21, etc.) et que les autres partis adoptaient des positions claires, des employés politiques du PLQ se réjouissaient d’avoir « gardé toutes les options ouvertes » ou d’avoir « été ni pour, ni contre ». C’était sidérant.
Un député m’a même expliqué que le gouvernement caquiste était « tellement mauvais qu’il allait se battre lui-même ». Il n’y avait donc aucune raison de proposer quoi que ce soit avant la prochaine élection, et les Québécois n’attendaient que de rentrer au bercail libéral.
Wow.
Le PLQ avait subi deux dégelées historiques en trois élections, les sondages désastreux se succédaient, on était face au gouvernement le plus populaire de l’histoire récente, et il suffisait de maintenir le cap (vers l’iceberg?).
Au sein du cabinet, les forces du statu quo – oserais-je dire conservatrices? – ont eu le dessus sur les réformateurs, minoritaires. On se parlait entre fidèles libéraux pendant que le navire prenait l’eau. Il fallait pourtant donner des raisons d’écouter à tous les Québécois, incluant ceux qui, comme moi, n’avaient jamais voté libéral.
Contrairement à ce que les « statuquistes » au cabinet affirmaient (et coulaient aux médias – beau travail d’autosabotage!), il n’était pas question de faire du PLQ une nouvelle version de Québec solidaire.
C’était, simplement, un retour aux racines des grandes réalisations libérales. Celles d’un parti sociodémocrate moderne, ouvert et capable de conjuguer le développement économique et l’équité, et maintenant l’environnement.
C’est encore valable. Mais ça prend un réveil, un virage, et du contenu fort.
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Le Québec a besoin d’un parti libéral qui soit la meilleure version de lui-même.
Face au clientélisme de la CAQ, le PLQ doit élargir la tente. Face à la division, il doit favoriser l’addition.
À son meilleur, le Parti libéral est le seul à pouvoir rallier une majorité de Québécois. Et le seul à l’avoir fait depuis 1960, à quatre reprises.
Après tout, c’est le parti qui a donné le droit de vote aux femmes, reconnu le droit aux négociations collectives, fondé Hydro-Québec, rendu l’école obligatoire, élargi l’accès à l’éducation secondaire et supérieure, instauré nos régimes de retraite et d’assurance maladie, adopté la première Charte des droits au pays, construit les barrages qui nous alimentent encore, et généralement fait entrer le Québec dans la modernité.
Y’a-t-il quelqu’un au Québec qui soit contre ça aujourd’hui?
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L’idée serait de retrouver cet esprit, et l’amener au XXIe siècle.
À quoi ça pourrait ressembler?
Des services publics véritablement universels et dignes des démocraties modèles. Parce qu’il n’y a aucune raison valable que les soins pour nos aînés, les services à la petite enfance, les programmes spéciaux dans les écoles, ou le simple accès à un médecin dépendent de la chance. Des pays d’Europe y arrivent. Pourquoi pas nous?
Un filet social suffisant et qui ne laisse personne derrière. Parce que c’est la bonne chose à faire et que c’est une mission vitale de l’État. Et parce que permettre à chacune et chacun de contribuer est une condition de notre prospérité collective.
Une économie prospère et durable, qui miserait d’abord sur nos forces et sur nos considérables ressources humaines et géographiques. Notre niveau de vie à long terme dépend d’un environnement économique favorable à toutes nos entreprises et tous nos entrepreneurs, et qui les incite à investir et innover. Subventionner des multinationales à coups de milliards ne nous a jamais enrichis.
Un Québec assez confiant dans la vigueur de son identité pour faire promouvoir positivement notre langue commune, parce que c’est nécessaire, parce que ça nous différencie à l’échelle de l’Amérique, et parce que c’est un avantage énorme. Et qui, aussi, serait fier de respecter les droits fondamentaux de chacun de ses citoyennes et citoyens.
Une démocratie renouvelée dans laquelle la plupart des Québécois se reconnaîtraient au lendemain de chaque élection, et qui favoriserait la collaboration entre les différents partis. Les députés retrouveraient un peu de liberté. La transparence envers la population serait vue comme un devoir, et non un risque.
Ça semble naïf? C’est peut-être que nos idéaux ont rétréci. Il n’y a rien de mal à viser plus haut.
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Pour pouvoir vendre tout ça et être crédible, le PLQ a tout un chantier devant lui.
La plate réalité, c’est qu’une majorité de Québécois ont encore sur le cœur les années de pouvoir libéral entre 2003 et 2018.
Tout ce qui va mal aujourd’hui n’est pas la faute du PLQ, mais il a quand même eu les deux mains sur le volant pendant presque quinze ans. De ce point de vue, il est au moins responsable des problèmes qu’il a laissés s’aggraver.
Quinze ans, c’est à une année près le temps entre l’élection de Jean Lesage, en 1960, et la fin du premier règne de Bourassa, en 1976. Vu ainsi, la minceur du bilan libéral de 2003 à 2018 est un peu embarrassante.
Le PLQ des années 60 et 70 a tranquillement bâti l’édifice du Québec moderne. Le PLQ des années 2000 l’a tranquillement regardé s’affaisser.
C’est sans doute difficile à avaler pour celles et ceux qui étaient au pouvoir et qui voient cette période comme une sorte d’âge d’or pour le parti, mais c’est le jugement que la plupart des Québécois portent aujourd’hui. Faudrait le reconnaître humblement.
Sinon, le PLQ risque de ne parler qu’au petit groupe qui le soutient encore, et qui rétrécit à vue d’œil.
Les sondages montrent que même les Québécois anglophones et allophones sont en train de s’éloigner.
Dans dix ans, qui va-t-il rester?
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Le fardeau de la preuve repose sur le Parti libéral. À plus ou moins 14 % d’intentions de vote, et à 5 % (!) chez les francophones, c’est plus qu’une côte à remonter, c’est deux Everest, un par-dessus l’autre.
Les électeurs québécois attendent le PLQ avec une brique et un fanal.
Il faudra écrire en lettres de feu que le Parti libéral de 2023, 2024, 2025 n’a plus rien à voir avec celui qui a été au pouvoir entre 2003 et 2018.
La députation actuelle montre que c’est tout à fait envisageable : sur les 19 députés du caucus libéral, seulement 3 ont été élus avant 2018 et connu le pouvoir; un seul a été ministre, pendant à peine un an. Les dernières élections ont emporté avec elles les derniers vestiges du passé. Le fruit est mûr pour une refondation.
Cette condition de survie du PLQ, qui représente une opportunité, est aussi une nécessité politique pour le Québec.
Après cinq années de pouvoir, la CAQ est déjà un vieux gouvernement. Passé les urgences de la pandémie, le retour à la véritable gouvernance est pénible.
Les promesses brisées, planifiées, ont ajouté une couche de cynisme. Le double vire-capot suite à la partielle dans Jean-Talon a fait sauter le couvercle. Même les partisans de la CAQ ne peuvent plus raisonnablement douter qu’on les prend pour des imbéciles.
Plus fondamentalement, la CAQ n’aime pas la démocratie. Le premier ministre a dit sans rire qu’il comptait respecter sa promesse de ne pas respecter sa promesse de changer le mode de scrutin. On en est là.
Pour la CAQ, les contrepoids comme les tribunaux, les médias et le commissaire à l’éthique sont un problème. La critique est un problème. Les villes sont un problème. Les Montréalais sont un problème. Les anglophones sont un problème. Les immigrants sont un problème. Les Autochtones sont un problème. Les francophones, nombreux, qui ne partagent pas la vision de CAQ, sont aussi un problème. Ou simplement des « wokes ». C’est le premier ministre qui l’a dit.
On ne construit pas une société forte en écartant une partie de ses citoyens.
La CAQ semble gouverner avant tout pour le chef et son entourage. Même ses propres députés n’ont pas grand-chose à dire.
Le Québec mérite mieux, beaucoup mieux.
Malgré ses gains récents, le Parti québécois restera limité par sa position sur la question nationale. Même si des sondages lui donnent parfois un peu d’espoir, la majorité des Québécois ne sont plus là depuis longtemps, et les électeurs souverainistes sont en plus répartis entre trois partis. Sur les questions identitaires, la langue et l’immigration, le PQ joue sur le terrain de la CAQ. Ça le limite aussi.
Québec solidaire plafonne. Le cœur est à la bonne place, mais la tête reste trop dogmatique. Le secteur privé, qui emploie l’immense majorité d’entre nous, qui innove, qui nous exporte et qui nous enrichit, est vu au mieux comme un mal nécessaire. Et le contribuable qui approche de la retraite avec des économies et une maison payée n’est rien de plus qu’un « millionnaire » à taxer.
Le Parti conservateur n’a pas de député, mais sa capacité de désinformation et de détournement du débat public reste considérable. Son potentiel de croissance est déjà dépassé, mais sa persistance rappelle que trop de Québécois se sentent ignorés. Le PLQ peut répondre à leurs préoccupations en appelant à leurs idéaux, au lieu de cultiver leur cynisme.
À moins qu’un de ces partis change complètement d’orientation, les mêmes facteurs seront là en 2026. L’histoire du PLQ montre qu’il peut occuper un terrain plus large et coaliser les aspirations des Québécois.
Mais pour prendre sa place, le PLQ doit sortir du centre-flou, des slogans creux, de l’opposition systématique et du fédéralisme de complaisance qui ont trop souvent été sa marque.
Tout ce qui vient d’Ottawa n’est pas nécessairement formidable. Le fédéral n’est pas le patron des provinces, et il devrait d’abord s’occuper correctement de ses propres responsabilités. Un parti fédéraliste ne devrait pas être gêné d’en appeler au bon fonctionnement d’un État fédéral.
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Le Parti libéral, c’est le parti de Godbout, notre premier vrai premier ministre moderne; c’est le parti de Lapalme, l’architecte de la Révolution tranquille; c’est le parti de Lesage, qui l’a menée; c’est le parti de Bourassa, qui a amené l’économie du Québec dans la modernité et consacré l’existence de droits fondamentaux pour tous; c’est le parti issu des lumières, de la rationalité et du progrès. Pour tous.
Le Québec a besoin d’un PLQ renouvelé, qui retrouve son utilité politique. Il y a un historique. Il y a encore une force de frappe. Il reste maintenant à se retrouver autour d’une vision renouvelée et inspirante, et à en faire quelque chose qui peut regrouper vers des objectifs communs.
Une sorte de retour aux sources, mais résolument orientée vers l’avenir : où veut-on que le Québec soit dans dix, vingt, trente ans?
Veut-on vraiment que la voie soit tracée par une sorte d’Union nationale 2.0, de l’aveu même de son chef?
Tous les Québécois ont intérêt à ce que le PLQ relève son jeu, ne serait-ce que pour que les autres partis le fassent aussi.
Ça va exiger tout un travail de fond, ce qui inclut les façons de faire à l’Assemblée nationale et au-dehors. De revoir le travail de l’opposition officielle, du caucus, du personnel politique, et au parti. Un nouveau discours et même une nouvelle façon de faire de la politique : une nouvelle façon de voter, de former les gouvernements, d’adopter les lois et d’en débattre afin d’aller chercher chaque fois l’horizon le plus large possible.
Ça mène à la dernière condition, fondamentale. Le PLQ doit aussi faire de la mise en place d’un mode de scrutin proportionnel un engagement central solennel et central. (Et non un gadget comme un scrutin préférentiel, un système inéquitable et dans lequel personne ne sait vraiment pour qui il vote, et que le comité de relance du parti vient de ressortir des boules à mites.)
Le « vieux » PLQ a empêché une telle réforme quand il était au pouvoir, alors que tous les partis d’opposition le demandaient, et une majorité de Québécois maintenant.
Un PLQ nouveau devra montrer qu’il aime davantage la démocratie que son propre pouvoir. Les « majorités » à 40 %, c’est terminé. Que le PLQ s’en fasse le porteur est essentiel pour retrouver sa crédibilité. Et, pourquoi pas, des conseils des ministres multipartites, qui paveront la voie vers de réelles coalitions pour l’avenir du Québec? La vraie vie est faite de compromis. La politique québécoise doit passer à l’âge adulte.
En somme, avant même de songer à reprendre le pouvoir, le Parti libéral doit faire tout ce qu’il faut pour redevenir un véhicule politique utile et pertinent, et pas seulement une opposition officielle par défaut, un peu chanceuse de profiter d’un mode de scrutin brisé.
Le PLQ devra être audacieux, surprenant, créatif, innovant. Et inspirant comme il ne l’a pas été depuis longtemps. Au lieu d’être un simple parti d’opposition, il devra devenir un parti de propositions.
Préférablement, il dépenserait moins d’énergie sur des projets de constitution du Québec ou de détermination du sexe des anges politiques, et davantage sur les piliers fondamentaux d’une société prospère, équitable et durable.
D’un côté, la lente glissade vers l’insignifiance politique. De l’autre, l’occasion de contribuer à construire l’avenir. Ce sera quoi?
Oh, et plus tôt que tard, n’est-ce pas? 2026, c’est demain matin. La date de la course à la direction devrait être établie au plus tôt, en fonction de l’immense travail de reconstruction à accomplir, et non de douteux calculs de météorologie politique. Parce qu’il n’y aura pas de direction claire sans chef.
C’est le moment de se mettre en marche. Maintenant.
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Peu après la publication de ce texte, des médias ont annoncé que la course à la chefferie n’aurait pas lieu avant la fin de 2024 et ne serait conclue qu’au printemps 2025. Manifestement, l’ampleur du travail de reconstruction à effectuer est mal comprise.
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Catégories :Élections, Démocratie, Politique
Très bien dit, Patrick. Je ne reconnais plus le Parti que j’ai appuiyé, et pour lequel j’ai milité, pendant plus de 50 ans.