Élections fédérales : le choix du « cheuf »

Le Journal de Montréal, vendredi 10 septembre.

« Il y a trois partis, le PLC, le NPD et le Parti vert qui veulent nous donner moins d’autonomie. Je trouve ça dangereux. »

– François Legault, premier ministre du Québec

Le premier ministre a mis tout son poids politique dans la campagne fédérale jeudi en appelant explicitement à ne pas voter pour le Parti libéral, le NPD ou le Parti vert lors des élections du 20 septembre, en raison de leur tendance à vouloir empiéter sur les compétences des provinces, la santé et les soins aux aînés au premier chef.

M. Legault est aussi préoccupé par les pouvoirs du Québec en matière d’immigration et d’éventuelles tentatives du fédéral de miner la loi sur la laïcité.

Le premier ministre du Québec en a remis une couche vendredi quand il a dit qu’« on a trois partis qui veulent décider à notre place de nos priorités dans nos pouvoirs », toujours en parlant du PLC, du NPD et des Verts.

Il y a deux lectures à ça. La première, purement politique. Le seconde, du point de vue des politiques publiques et du mandat démocratique.

Le politique

Le pire scénario du point de vue de M. Legault serait probablement un gouvernement minoritaire libéral soutenu par le NPD, au moins aussi centralisateur et interventionniste que les libéraux, sinon plus.

En revanche, M. Legault a trouvé bien des qualités au chef du Parti conservateur, Erin O’Toole, notamment sa promesse d’augmenter les transferts fédéraux en santé, l’octroi de pouvoirs en matière d’immigration et l’engagement de ne pas contester la loi sur la laïcité.

De plus, les conservateurs ont promis de financer 40% des coûts du futur tunnel entre Québec et Lévis, cher au premier ministre, ce qui équivaut potentiellement à une contribution de 4 milliards $ aux dépenses du gouvernement caquiste.

M. Legault calcule probablement qu’entre les milliards additionnels promis pour le 3e lien et ceux pour la santé, la promesse conservatrice de déchirer l’entente sur le financement des garderies ne ferait pas trop mal…

La dernier appui aussi explicite d’un premier ministre québécois à un parti fédéral remonte à 1984, quand René Lévesque avait appelé à élire le Parti progressiste-conservateur (le mot avant le trait d’union et ce que ça signifie ayant disparu depuis…), mettant même l’organisation du Parti Québécois au service des troupes de Brian Mulroney.

La fois précédente remonte à plus de 60 ans, en 1958, alors que le chef de l’Union nationale et premier ministre du Québec, Maurice Duplessis, avait appuyé John Diefenbaker et aidé à faire élire 50 députés progressistes-conservateurs au Québec.

Comme le « cheuf » des années 50, M. Legault est un politicien en apparence invincible, au sommet d’une popularité que rien n’arriver à entamer. Quatre Québécois sur cinq sont satisfaits de sa gestion de la pandémie. Même une majorité d’électeurs libéraux se disent satisfaits du gouvernement caquiste. C’est dire!

La capacité d’influence de M. Legault est considérable, et il n’entend pas s’en priver.

La parallèle avec Duplessis, un populiste et un nationaliste, est d’autant plus intéressant, que M. Legault l’a lui-même soulevé: «L’Union nationale, maintenant ça s’appelle la CAQ», a déjà lancé le premier ministre.

Il rester à savoir si l’appel du « cheuf 2.0 » aux électeurs poussera suffisamment d’électeurs vers les conservateurs d’Erin O’Toole, ou ou encore vers le Bloc québécois, que M. Legault ne mentionne pas, mais dont le chef appuie sans réserve toutes ses demandes envers Ottawa.

Les politiques publiques

Une fois que les rapports de force sont établis, qu’en est-il du bien-fondé de ces politiques et du mandat qu’a reçu M. Legault de la population québécoise?

La question du rôle du fédéral en santé fait consensus chez les partis représentés à l’Assemblée nationale : essentiellement, Ottawa n’a pas d’affaire là, mais il doit financer une plus grande part des soins, conformément à l’engagement pris il y a plus de 60 ans, lorsque les provinces ont créé à sa demande des régimes publics d’assurance-maladie.

D’un point de vue purement fonctionnel, il n’y a en effet rien à gagner à ajouter un palier décisionnel ou des normes nationales sur un système monstrueusement bureaucratique et complexe. La pandémie aussi a montré en accéléré comment des directives rigides tuent les initiatives régionales ou locales. N’en ajoutons pas!

En matière d’immigration, les demandes du chef caquiste sont légitimes, mais se gâtent un peu dans le détail.

Le gouvernement du Québec est évidemment mieux placé qu’Ottawa pour décider du type d’immigration qu’il veut favoriser, notamment sur le plan économique.

Par contre, la volonté d’assujettir la réunion des familles à la connaissance du français apparait au mieux insensible : ce ne sont pas quelques milliers de gens venant rejoindre des proches déjà enracinés chez nous qui vont menacer l’équilibre linguistique. Il est possible de promouvoir le français de façon plus positive.

La loi 21 sur la laïcité est un des piliers de la politique nationaliste de la CAQ et elle a l’appui d’une majorité de Québécois. Le détail est que les droits fondamentaux des minorités ne se décident pas à la simple volonté de la majorité. C’est parfois agaçant, mais c’est généralement quand c’est agaçant que c’est important.

On pourra contester la légitimité de l’application de la Charte canadienne, adoptée contre la volonté du Québec, pour limiter la portée d’une loi votée à l’Assemblée nationale. Mais le gouvernement de M. Legault a lui-même un peu triché et rompu un consensus parlementaire en modifiant la Charte québécoise sans l’unanimité des partis représentés, et même de tous les parlementaires, une convention à laquelle avaient souscrits tous les gouvernements précédents depuis l’adoption de la Charte, il y a plus de 40 ans.

En avouant lui-même que sa loi sur la laïcité ne passerait probablement pas le test de la Charte québécoise, M. Legault est un peu mal venu de tenter de la soustraire à l’examen de la Charte canadienne, d’autant plus qu’il dit s’être « vraiment réconcilié avec le Canada ». Le PQ, toujours souveraniste, est plus cohérent sur ce plan.

Enfin, quand au projet de tunnel sous le fleuve entre Québec et Lévis, il a été torpillé par les trois partis d’opposition au Salon bleu.

Le troisième lien demeure un projet essentiellement partisan, difficile à justifier d’un point de vue de politique publique. Pour le même coût projeté, soit 10 milliards $, on pourrait rénover l’ensemble des écoles du Québec… deux fois! On doit aussi garder à l’esprit que la population active sur la Rive-Sud de Québec est appelée à décroître, que le télétravail est là en grande partie pour rester, que la ville de Québec est déjà l’une de celles comptant le plus de kilomètres d’autoroute au pays en proportion de sa population, et l’une des moins congestionnées.

À peine le quart des Québécois sont d’accord avec le projet. Dans la région de Québec, depuis que les coûts monstrueux en ont été révélés, le troisième lien ne recueille même plus l’appui d’une majorité.

Le mandat démocratique

On peut aussi se demander si M. Legault a reçu le mandat d’exprimer ses préférences politiques au nom des Québécois. Bien sûr, il a été dument élu en 2018, remportant 74 des 125 sièges à l’Assemblée nationale, ce qui lui a procuré une majorité confortable.

Par contre, la Coalition avenir Québec n’a remporté cette majorité qu’avec seulement 37,4 % des voix, le plus bas total pour un gouvernement majoritaire depuis que le Québec a joint la confédération, en 1867.

Le « record » précédent appartenait à… Maurice Duplessis, qui avait formé un gouvernement majoritaire avec seulement 38 % des votes.

C’est un peu ironique que M. Legault souhaite un gouvernement minoritaire à Ottawa, qui ne donnerait pas trop de pouvoir à un seul parti, alors que lui-même gouverne avec un niveau d’appuis qui n’aurait jamais dû lui donner une majorité.

En tous les cas, notre premier ministre fera ce qu’il veut, pendant la campagne et après.

Parce que, lui, le peut.

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Catégories :Démocratie

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